PARIS
Le directeur de la Maison européenne de la photographie tire sa révérence avec une sélection toute personnelle de photographies qui ont fait depuis 30 ans la renommée de la France en ce domaine.
Paris. On ne quitte pas facilement une maison que l’on a construite, et encore moins une maison où l’on a passé une bonne partie de sa vie. Suivant de près le départ d’Henry Chapier, président de la Maison européenne de la photographie (MEP), Jean-Luc Monterosso a quitté fin mars, à 71 ans, ses fonctions de directeur de cette institution devenue une référence pour avoir œuvré activement à la reconnaissance du médium et à la visibilité de ses auteurs. L’exposition sur la collection de photographies de la MEP aux Rencontres d’Arles de 2015 et la publication en mars 2018 de l’ouvrage sur la collection de livres photo de sa bibliothèque (éditions Actes Sud/Mep) ont rappelé l’ampleur du travail accompli. Une manière de mettre en lumière la politique active menée pour constituer et enrichir ces deux collections malgré des budgets d’acquisition en constante baisse – 70 000 euros. La programmation éclectique a quelque peu brouillé ces dernières années, il est vrai, l’image de l’institution et son rôle de soutien à la création photographique. À moins que cette programmation hétéroclite, inscrite aujourd’hui dans l’ADN de la MEP, ne soit plus du tout au goût d’une époque marquée dernièrement par l’essor de nouvelles institutions et de nouveaux responsables photos aux choix plus précis ou plus identifiables.
La grande diversité des genres et des auteurs est un des traits communs des collections de la MEP constituées par son directeur. On la retrouve donc tout naturellement dans « La photographie française existe… je l’ai rencontrée », dernière exposition que signe Jean-Luc Monterosso en ces lieux ; du moins en solo, puisque à la fin de l’année il coréalisera une monographie sur JR qui investira tous les espaces de l’hôtel Hénault de Cantobre.
Sa sélection est totalement subjective. Jean-Luc Monterosso le revendique : « J’ai choisi dans la collection de la MEP les œuvres de photographes que j’ai rencontrés et que j’ai aimés. C’est un choix lié à une histoire personnelle avec des oublis, des absences mais également des partis pris. » En premier lieu, le choix de répondre à un propos lapidaire de John Szarkowski au sujet de la jeune photographie française lors d’une rencontre à New York au début des années 1980. « Elle n’existe pas », avait rétorqué le conservateur de la photographie du MoMA pour qui la photographie française s’arrêtait à Jacques Henri Lartigue, Robert Doisneau, Willy Ronis, Brassaï et Henri Cartier-Bresson. On ne croise donc pas ces figures tutélaires, mais d’autres figures de la scène française que Paris Audiovisuel d’abord, puis la MEP ont soutenues, défendues ou fait émerger au cours de ces quatre dernières décennies.
Le récit est avant tout de l’ordre de l’intime et plus un portrait en creux de Jean-Luc Monterosso qu’un bilan du directeur général, bien qu’il remémore par bribes le rôle de l’institution et de ses expositions dans la carrière de certains. Ce fut le cas de Pierre et Gilles ou Bettina Rheims rencontrés au début des années 1980 à la Galerie Texbraun. D’autres grandes fidélités se déploient. Celle entretenue notamment avec Bernard Faucon rencontré à l’occasion du prix du premier livre photo décerné par Paris Audiovisuel et Kodak Pathé, prix qui permettra à son auteur de publier en 1979 Les Grandes Vacances ou plus tard à Gilles Peress d’éditer le mythique Telex Persan. Par touches discrètes, cette époque rappelle ses audaces. De salle en salle, des auteurs rassemblés en fonction de leur univers ou de leur propos en délivrent d’autres écritures aujourd’hui devenues courantes. Bernard Plossu côtoie ainsi Denis Roche et Hervé Guibert, Keiichi Tahara, François Marie Banier et Alain Fleischer. Les séries « Nature » ou « Culture » de Pascal Kern sont associées à des différents grands formats de Patrick Tosani ou de Georges Rousse, que Jean-Luc Monterosso a exposés à l’hôtel de Sully en collaboration avec Farideh Cadot. « Rares sont les institutions culturelles qui travaillent à cette époque avec les galeristes, surtout d’art contemporain », rappelle-t-il.
Au deuxième étage, davantage de femmes photographes émaillent la poursuite du récit. On y trouve Marie-Laure de Decker, Christine Spengler, Sophie Ristelhueber, Françoise Huguier, Sarah Moon, Dominique Issermann, Valérie Belin ou Orlan. La lecture des cartels renseigne la date des acquisitions ou des dons, qui correspond parfois à la réalisation des créations. La salle entière octroyée à Sebastião Salgado rappelle la générosité de l’auteur envers la MEP ; notamment les 105 tirages de la série « Genesis » et de la série moins connue sur les immigrés à Paris, réalisée au début de 1970, et offertes tout dernièrement à l’institution en cadeau de départ de son directeur. Certaines séries se développent plus que d’autres comme « Correspondance new-yorkaise » de Raymond Depardon, qui déploie ses derniers grands formats.
La fin du récit pèche toutefois par certains rassemblements improbables, faute d’avoir pu s’étendre dans les autres espaces d’expositions de la MEP. Deux niveaux s’avèrent bien trop courts pour laisser se développer les rencontres et les choix, et surtout pour poursuivre de bout en bout le récit sur le ton de l’intime au même rythme que le catalogue.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Jean-Luc Monterosso fait ses adieux À la MEP