Dessinateur du dernier tiers du XXe siècle, Jean-Claude Vignes a pris le corps humain comme sujet, et le représente avec minutie mais toujours partiellement.
Sa discrétion, une totale indifférence aux stratégies commerciales, et la nature même d’une œuvre étrangère aux courants dominants, privèrent Jean-Claude Vignes (1924-1996) d’une notoriété qui ne cesse désormais de grandir. Car il apparaît – cette exposition en est la preuve éclatante – comme un des grands dessinateurs du dernier tiers du xxe siècle. S’il fut également peintre au début et à la fin de sa carrière (mais aussi sculpteur ou créateur de costumes et de décors pour la scène), c’est le dessin qui forme la part essentielle de son œuvre.
Le dessin conçu comme une technique picturale à part entière, très élaborée et aboutissant à de véritables tableaux sur papier. C’est dans les années 1970, après une période consacrée aux assemblages puis aux empreintes d’objets et de corps, que l’artiste commence à se consacrer exclusivement au dessin ; tout d’abord à travers des frottages qui restituent les reliefs, les plis et les crevasses des objets, puis par la représentation directe d’un objet bien particulier : le papier froissé.
La montée des formes
Ce thème fournit l’occasion de développer tout un jeu d’illusions, « papier sur papier », proche du trompe-l’œil mais relevant d’une ambition tout autre. Il s’agirait plutôt d’exacerber la sensibilité visuelle à travers les accidents multiples de la surface dépeinte, fonctionnant comme un révélateur de lumière. C’est elle qui est le vrai sujet. Dans cette lumière réinventée et neuve offerte au regard, vont bientôt naître d’autres formes. Il est fascinant en effet de voir comment de ces « papiers froissés » émergent peu à peu, d’abord allusives, puis littérales, les formes du corps, appelées à devenir le thème central de toute l’œuvre. Ce thème permet de mieux comprendre les phases antérieures, et éclaire de même les dernières séries : vêtements et coussins qui disent le corps « en creux », natures mortes montrant des objets solitaires, et enfin paysages déportant le regard vers un au-delà de la présence charnelle.
L’espace amoureux
Les dessins de Jean-Claude Vignes exaltent le corps viril, sans jamais le représenter en entier, ni montrer le visage. C’est un corps générique, saisi pourtant dans le détail des reliefs anatomiques, et représenté partiellement. Les séries de torses, dos, ventres, épaules, se présentent au regard comme les multiples aspects d’un paysage de chair. L’artiste module la lumière de façon à faire apparaître ces formes fragmentaires comme si elles naissaient du fond du papier, pour s’y fondre à nouveau, exactement comme les sons musicaux naissent du silence et s’y résorbent. La beauté de ces œuvres tient à la qualité et à l’ampleur de ces fonds silencieux où les formes apparaissent sans se détacher. Ce qui émerge ainsi, ce ne sont pas des images, c’est un espace ; un espace qui se renfle et se déploie amoureusement, respire, et dévoile sa profondeur harmoniquement construite.
« Jean-Claude Vignes, 1924-1996 », CANNES (06), La Malmaison, 47 la Croisette, tél. 04 97 06 44 90, 12 décembre-30 avril. Cat. 20 euros.
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Jean-Claude Vignes en ses dessins
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°567 du 1 mars 2005, avec le titre suivant : Jean-Claude Vignes en ses dessins