Déroutant, James Ensor traverse la peinture avec une liberté éhontée, parfois amusée, souvent tourmentée. Un artiste à fleur de peau, un écorché vif, avec la palette pour torpille et le pinceau pour scalpel.
Déroutant, James Ensor traverse la peinture avec une liberté éhontée, parfois amusée, souvent tourmentée. Un artiste à fleur de peau, un écorché vif, avec la palette pour torpille et le pinceau pour scalpel.
Au soir de sa vie, James Ensor (1860-1949) découvre amèrement que des avis nécrologiques annoncent sa propre mort. Comme si l’histoire avait voulu abréger la vie trop longue d’un homme qui attendra finalement sa quatre-vingt-dixième année pour expirer. Comme si la critique avait voulu précipiter la chute d’un artiste qu’elle peina à reconnaître. Comme si, en définitive, la société avait voulu suicider l’un de ses principaux contempteurs. Et si Ensor parvint à survivre, à se survivre, le musée d’Orsay le ressuscite. Enfin.
Babioles et bibelots
James Ensor est un sédentaire. Par sa naissance et par sa mort, son nom reste attaché à la ville d’Ostende. Ainsi pour preuve : sa formation à l’Académie royale de Bruxelles (1877-1880) et ses quelques séjours parisiens ou hollandais comptent parmi ses rares velléités de nomadisme. C’est donc là, à Ostende, devant les miroitements de la mer du Nord, qu’il élaborera un œuvre polymorphe et ensorcelant. C’est là, dans la maison familiale où ses parents tinrent commerce, qu’il peindra sa vie durant avec la sauvagerie des solitaires, avec l’incivilité des rêveurs.
Très tôt, sa manière heurte, et ce jusqu’au Groupe des XX qui, en 1888 puis en 1890, refuse d’exposer l’un de ses cofondateurs. Décidé à radicaliser sa peinture, Ensor s’enrage, s’isole et s’en remet à un univers confiné, à un bestiaire peuplé des seuls souvenirs de pacotille – coquillages, vases et masques – vendus par le magasin familial. Un primitivisme ordinaire, une songerie écervelée. Cela ne changera plus.
Masques et squelettes
Dorénavant, James Ensor perfore le monde avec une cruauté sardonique. Défilent alors dans sa peinture des cortèges de masques, des ribambelles de squelettes destinés à fustiger ce monde habité par des clowns burlesques.
Avec Les Masques singuliers (1892, reproduit ci-contre), l’artiste se représente en pantin persécuté par des critiques, bouffons littéraires que violentent des rouges sanguinolents et des jaunes stridents. Inclassable, l’artiste belge y dit la comédie humaine, tragique et pitoyable. Le monde est désormais une fanfare où l’artiste claironne son mépris des conventions. Sa peinture est une pyrotechnie savante où brûlent les apparences. Et ces masques flambent comme un chef-d’œuvre solaire, dernier feu d’une inspiration embrasée qui, à compter du nouveau siècle, se consumera irrémédiablement.
Biographie
1860
Naît à Ostende.
1880
Quitte l’Académie de Bruxelles.
1882
La Mangeuse d’huîtres est refusée au Salon d’Anvers.
1883
Apparition des masques.
1884
Membre fondateur du Groupe des XX, cercle d’avant-garde.
1886
Premières eaux-fortes.
1888
L’Entrée du Christ à Bruxelles est refusée au Salon des XX.
1892
Auteur de nombreux autoportraits, il se représente parmi la foule carnavalesque de ses toiles.
1929
Enfin reconnu, il est fait baron par le roi Albert 1er.
1949
Décède à Ostende.
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James Ensor, la critique démasquée
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Informations pratiques. « James Ensor », jusqu’au 4 février 2010. Musée d’Orsay, Paris. Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h ; le jeudi à 21 h 45. Tarifs : 6,50 et 7 €. Le catalogue d’exposition, sous la direction d’Anna Swinbourne et de Laurence Madeline, propose en 288 pages et 250 illustrations (coédition Orsay/RMN, 48 € environ), une plongée dans l’œuvre du peintre belge le plus original de la fin du xixe siècle. À noter également, une série de concerts organisés du 12 novembre au 28 janvier 2010 qui explore l’influence de l’artiste sur le monde musical. www.musee-orsay.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°618 du 1 novembre 2009, avec le titre suivant : James Ensor