Art contemporain

Rétrospective

Isa Genzken, la rebelle

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2016 - 688 mots

Le Martin-Gropius-Bau propose une rétrospective énergique consacrée à l’artiste allemande anticonformiste, toujours concernée par les problématiques sociales.

BERLIN - « Faites-vous beau (ou belle) ! » (Make Yourself Pretty !), clame haut et fort le titre de l’exposition rétrospective que consacre à Isa Genzken le Martin-Gropius-Bau, à Berlin. Il y est en effet question d’image de soi – mais pas seulement – et le constat qui y est dressé est pour le moins décoiffant ; à l’instar de ces quatre bustes en plâtre de Nefertiti affublés de perruques échevelées aux couleurs tapageuses, lunettes, masques respiratoires et autres accessoires, parfois sexuels (Nofretete, 2015). La rétrospective fait montre d’une artiste toujours sur la brèche, tant dans le contenu du commentaire social que dans la manière de le délivrer, avec une énergie constante dans son esthétique colorée faite de mélanges, qui pourrait parfois paraître superficielle, mais seulement en apparence.

La pétillante sexagénaire n’a donc rien perdu de son mordant dans ces œuvres récentes qui, à une époque où le selfie est roi, pointent sans détour la question du portrait et de sa nature, du statut de l’icône ; d’autant plus qu’elles sont installées devant des plaques de métal mat accrochées au mur, qui réfléchissent vaguement les sculptures autant que les visiteurs, non sans les flouter. Pour contemporaines qu’elles soient, ces interrogations avaient déjà été soulevées bien auparavant et se montrent récurrentes, ainsi qu’en témoigne la belle série de photos couleur intitulée « Oreilles » (Ohren) réalisée en 1980 et qui, toujours avec le même cadrage en gros plan, figurent des oreilles paraissant identiques d’inconnues arrêtées dans la rue à New York, dont les seules différences visibles tiennent dans les discrètes boucles d’oreilles. Au-delà de l’apparence et de la figuration de soi, c’est bien une problématique identitaire que vise l’artiste, et notamment les critères de différenciation au sein du groupe. Ce qui, chez elle, se traduit par un appétit pour la répétition et les traitements en séries. Comme ces chemises accrochées sur tout un mur, sorties de sa propre garde-robe et « customisées » à coup de peinture, qui vont insister sur une constante construction de soi (Jacken und Hemden, 1998).

L’individu face à son environnement
La grande qualité de cette exposition imaginée par la directrice du Stedelijk Museum d’Amsterdam, Beatrix Ruf, est qu’enfin une véritable mise en perspective du travail d’Isa Genzken en donne à voir la parfaite cohérence, ce qui n’a pas toujours paru évident au vu d’œuvres ou d’ensembles dispersés dans des expositions de groupe ou de dimensions bien moindres. En contrepartie, son principal écueil est que les salles du rez-de-chaussée du Martin-Gropius-Bau n’ont pas l’ampleur de celle du musée néerlandais et, bien que dynamique, l’accrochage est trop chargé et compact, faisant très vite étouffer le visiteur.

L’œuvre elle-même n’est pas non plus étrangère à cette sensation, en particulier lorsqu’est abordée l’autre grande affaire qui depuis toujours occupe Isa Genzken, à savoir la culture urbaine et le cadre de vie, autrement dit l’urbanisme, l’architecture et leurs incidences sur le corps et l’image. Nombreuses sont les œuvres dans lesquelles s’agrègent des matériaux divers dans des allusions à la construction citadine, telles ces hautes colonnes de bois toutes différentes évoquant des tours, qui ne sont pas sans renvoyer à la production de masse et à la complexification visuelle engendrée par la multiplication des signes (ABCD, 2002). Le béton fait son apparition également, par exemple dans une belle installation de portes ajourées et entremêlées dont l’enchevêtrement annihile la fonction (Paravent, 1990-1991).

Remarquables également sont ces « façades sociales » (Soziale Fassaden, 2002) en fin de parcours, soit des collages rectangulaires alignés au mur, constitués de matières synthétiques colorées, de morceaux de métal et de carrés de surfaces miroir. Si la référence à l’architecture américaine est évidente, la réflexion du spectateur dans ces fragments de façade va une fois encore brouiller les limites de la surface, entre intérieur et extérieur. C’est là que l’artiste se révèle particulièrement brillante, lorsqu’elle parvient à lier directement l’individu et son environnement, le replaçant soudainement, et avec une fausse légèreté, face à ses responsabilités.

ISA GENZKEN

Commissariat : Beatrix Ruf, Martijn van Nieuwenhuyzen

Nombre d’œuvres : environ 200

ISA GENZKEN : MAKE YOURSELF PRETTY !

Jusqu’au 26 juin, Martin-Gropius-Bau, Niederkirchnerstraße 7, Berlin (Allemagne), tél. 49 30 254 86 0

www.gropiusbau.de

tlj sauf mardi 10h-19h, entrée 11 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Isa Genzken, la rebelle

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