Tout les opposait : la clientèle, la notoriété, le statut social… Et pourtant, l’un et l’autre ont portraituré leurs contemporains. Un livre sur chacun d’eux vient de sortir. En grand format pour Irving Penn, en poche pour Disfarmer.
À gauche Irving Penn (1917-2009), monstre sacré de la photographie décédé le 7 octobre dernier, qui a vu défiler dans son studio à New York, mais aussi à Paris, au Pérou ou au Maroc, tout ce que le monde de l’art, de la mode et de la politique compte de meilleur : Picasso – le portrait de l’artiste au chapeau, redingote tirée jusqu’à la joue, l’œil au milieu de la figure, c’est lui –, Truman Capote, Elsa Schiaparelli, Lisa Fonssagrives (sa femme, ravisante mannequin), etc.
À droite, Mike Disfarmer, né Mike Meyer (1884-1959), modeste artisan photographe un peu fou, dit-on, et sauvage, installé dans sa tanière de Heber Springs dans l’Arkansas (3 800 âmes en 1915, l’année d’ouverture de son premier studio). Lui a photographié tout ce que la ville compte d’anonymes, paysans et notables, familles endimanchées et soldats partant à la guerre.
Tout oppose les deux hommes : le premier, Irving Penn, a photographié durant sa carrière pour le magazine Vogue (dont on lui attribue cent soixante couvertures) et son célèbre directeur artistique Alexander Liberman, qui lui a mis le pied à l’étrier au début des années 1940. Il a collectionné les honneurs, enchaîné les expositions (on se souvient d’une grande expo à la Mep, en 2000) et s’est imposé en champion du marché de l’art en 2007 – vendu aux enchères, un portrait de Fonssagrives de 1951 a flirté avec les 400 000 dollars.
Le second, Mike Disfarmer, vendait ses portraits pour quelques cents américains. Retrouvé mort dans son atelier, il aura fallu attendre deux jours avant que l’on s’inquiète de sa disparition. Sa femme et ses enfants retrouveront dans le studio de cet excentrique huit mille dollars en obligations d’État, plusieurs centaines en liquide et, bien sûr, des plaques et négatifs photographiques, sa vraie « fortune ».
Tout les oppose donc, à l’exception de leur travail. Partageaient-ils une même conception de la photographie ? On peut le penser au regard de leurs clichés où les fonds neutres irradient des portraits épurés, presque jusqu’à l’exagération, et sculptés dans la lumière. Chez l’un comme chez l’autre, la focale ne varie pas. Le résultat est sobre et impeccable, rudimentaire même. Finalement, seul l’individu compte : sa physionomie bien sûr, mais aussi sa pause, toujours juste, et son regard, toujours franc. Lors de vrais face-à-face avec ses modèles, Irving Penn désirait faire émerger ce que ses sujets cachaient. Mike Disfarmer, lui, n'a peut-être jamais rien dit de tel, mais il y a fort à parier qu'il aurait fait sienne la leçon d’Irving Penn.
Irving Penn, Small Trades, textes en anglais de V. A. Heckert et A. Lacoste. Édition du J. Paul Getty Museum, 2009, 272 p., 259 ill., 26 x 32 cm, 69 € environ.
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Irving Penn - Mike Disfarmer, tout les oppose, à première vue…
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Abonnez-vous dès 1 €Mike Disfarmer, texte de M. P. Mattis. Actes Sud, collection Photo Poche, 2009, 144 p., 66 photographies reproduites en duotone, 12,5 x 19 cm, 12,80 €.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : Irving Penn - Mike Disfarmer, tout les oppose, à première vue…