Le père de la Tour fait l’objet d’une exposition servie par de nombreux documents d’archives.
PARIS - Les thèmes éculés ne font pas toujours les plus mauvaises expositions. Cette présentation monographique consacrée au concepteur de la « Dame de fer », qui fête cette année son 120e anniversaire, en apporte la preuve. Étonnement, Gustave Eiffel (1832-1923) n’avait pas fait l’objet d’une exposition parisienne depuis 1982. Caroline Mathieu, conservateur en chef au Musée d’Orsay, signe ici un parcours efficace, qui saura réjouir le grand public sans mégoter sur le contenu scientifique, appuyé sur de nombreux documents d’archives rarement visibles. Si un certain nombre d’entre eux proviennent du très riche fonds Eiffel cédé par ses héritiers au Musée d’Orsay, d’autres ont été exceptionnellement tirés de la collection de la tour Eiffel. La Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE), qui en est détentrice, peine en effet à en assurer la communication aux chercheurs et l’idée d’un dépôt de ce fonds au Musée d’Orsay, afin d’en assurer la conservation, est aujourd’hui envisagée. L’histoire démarre par le récit bien connu de la saga de l’entreprise Eiffel. En 1866, l’ingénieur Gustave Eiffel se lance dans les affaires dans le domaine de la construction de ponts métalliques. Un modèle, le « pont portatif économique », réputé pour la rapidité avec laquelle il peut être monté, assurera le succès international de son entreprise. De quoi vivre en grand bourgeois, comme en témoignent quelques vues de son hôtel particulier parisien. Plusieurs plans évoquent ainsi les premiers projets, dont le pont de Bordeaux (Gironde), conçu avec l’ingénieur Charles Nepveu en 1858, avant la création de l’entreprise Eiffel. Long de 500 mètres, cet ouvrage d’art était réputé pour ses fondations réalisées grâce à l’emploi de caissons à air comprimé, permettant de travailler au-dessous du niveau de l’eau. Figurant en bonne place dans cette exposition, ce pont est pourtant aujourd’hui menacé de démolition par son propriétaire, Réseau ferré de France. Il devrait toutefois faire l’objet d’une mesure de protection en urgence. Insatiable inventeur, Eiffel verra quelques-unes de ses idées rester à l’état de projet. Ainsi d’un réseau ferré de métropolitain parisien, d’un « pont » sous la Manche ou encore d’un observatoire sur le mont Blanc... C’est l’Exposition universelle de 1889 qui permet à l’entrepreneur d’accéder à la notoriété publique. Mis à l’œuvre pour répondre au programme du concours, ses ingénieurs, Maurice Koechlin et Émile Nouguier, proposent la formule d’un grand pylône de métal qui ne convainc guère leur patron. Retravaillé au sein de l’entreprise par l’architecte Stephen Sauvestre, le projet se mue en une élégante tour de 300 mètres, élargie vers sa base pour accueillir des espaces commerciaux. Eiffel remporte le marché et lance la construction, qu’il finance en contrepartie d’une jouissance de vingt ans. Quelques très belles séries photographiques, dues à Pierre Petit ou Louis-Émile Durandelle, illustrent ainsi la sortie de terre du monument, en dépit de nombreux aléas techniques. La plus émouvante est due à Henri Rivière, associé à Henri Jouard et Rodolphe Salis, la seule à témoigner d’une présence humaine sur ce colosse de métal, celle des ouvriers perdus entre ciel et terre. L’histoire de la tour Eiffel aurait pu s’arrêter là. Le programme de l’exposition de 1900 laisse les architectes libres de la conserver ou de la détruire. Quelques projets en témoignent encore, tel celui d’Henri Toussaint, qui propose d’habiller la tour d’une jupe métallique. C’est sa vocation scientifique qui permettra finalement sa sauvegarde. L’exposition se clôt par une belle section finale, consacrée à l’influence de la tour sur les artistes. De la pétition signée par certains d’entre eux, en février 1887, contre cette horreur « dont la commerciale Amérique ne voudrait même pas » à l’enthousiasme des autres, la tour Eiffel semble avoir rarement laissé indifférent. « Le monde moderne tourne autour de cette muse d’acier », conclut le peintre Robert Delaunay, qui en fit une véritable icône.
Jusqu’au 29 août, Hôtel de Ville, 5, rue Lobau, 75004 Paris, tlj sf dimanche 10h-19h. Cat. collectif, Skira-Flammarion, 256 p., 250 ill., 35 et 49 euros, ISBN : 978-2-0812-2502-2.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Inoxydable Eiffel
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat : Caroline Mathieu, conservateur en chef au Musée d’Orsay
- Scénographie : Renaud Piérard, architecte-muséographe
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Inoxydable Eiffel