On croyait bien connaître les photographies de la guerre d’Espagne, du moins ce qu’il en restait, mais voici qu’à peine deux ans après une exposition venue de Barcelone, d’autres images surgissent, beaucoup moins convenues, centrées sur les Brigades internationales, à Paris au Musée d’histoire contemporaine/BDIC (bibliothèque de documentation internationale contemporaine).
PARIS - L’Histoire, assurément, n’est jamais pleinement écrite ; c’est un mode d’interrogation toujours à renouveler, par lequel on met à jour de nouveaux documents et de nouveaux points de vue. A fortiori lorsqu’il est question de photographie, matériau documentaire de l’histoire encore très peu exploité par les historiens eux-mêmes, en l’absence des grilles d’interrogation nécessaires. En se concentrant sur les Brigades internationales, ces militants de tous pays partisans des républicains (35 000 volontaires) qui ont été l’une des particularités de la guerre d’Espagne, les commissaires de l’exposition, François Fontaine et Rémi Skoutelsky, ont fait un pari difficile, mais gagné, celui de rassembler une documentation très dispersée offrant une réelle appréhension de toute la question.
Historien fin limier
La guerre d’Espagne a été le premier “laboratoire” de cette osmose entre photographie et journalisme qui deviendra le photoreportage “de guerre” ; c’est en effet le premier conflit où se forge cette information mixte, articulée entre des photographies et des articles, produits sur place et juxtaposés dans des magazines (en particulier français, puisqu’ils sont en première ligne) : “Les journaux envoient des centaines de reporters, des dizaines de photographes fournissent les agences en clichés qui feront le tour du globe, tandis que les cinéastes alimentent les actualités filmées.” C’est là que Capa fait ses premières armes (bien qu’il ait été reporter depuis plusieurs années), s’impliquant au plus près des combats, élaborant son mode d’action et son style. C’est là en quelque sorte qu’il devient Capa, aux côtés de Chim, de Namuth et de Gerda Taro. Cette imbrication médiatique constitue le fond d’analyse du livre que publie François Fontaine sur les images du conflit.
La guerre civile espagnole, première guerre très documentée par le journalisme, a été peu étudiée, occultée par la guerre mondiale qui a suivi, par le silence des exilés, par l’étouffoir du régime franquiste. Les photos d’agence sont conservées, mais les clichés d’amateurs, de participants anonymes (ou qui n’ont pas souhaité signer), parfois compromettants, trop discrets, non identifiés ou incompris ont tendance à disparaître. Très souvent aussi, archives trop précaires pour revêtir l’apparence glorieuse de l’Histoire, elles succombent en même temps que leur propriétaire.
Tout travail sur cette question doit donc commencer par une collecte modeste d’un matériau ordinaire, et l’historien “par” la photographie doit aussi être historien “de” la photographie, et fin limier. Ce travail de recherche est raconté par Michel Lefebvre et Rémi Skoutelsky dans leur livre, également très riche en images de différentes natures (photos, affiches, magazines d’époque – que l’on retrouve dans l’accrochage diversifié de l’exposition). Aller fouiller à Moscou dans les archives d’André Marty (“patron de la base des brigades”), après la chute du Mur, au début des années 1990, fut l’occasion de retrouver des centaines de clichés signés de photographes espagnols, ignorés jusqu’ici ; repérer par leur décor peint les photographies faites dans le studio du républicain Luis Escobar permit de réattribuer ces portraits que les volontaires, regroupés d’abord à Albacete, emportaient ensuite sur le front. Un photographe brigadiste a même pu être identifié : Dezvo Révai, dit “Turaï”, communiste hongrois dont Lefebvre et Skoutelsky pensent qu’il a été une sorte de photographe officiel des Brigades ; ses archives de Budapest identifient en effet les auteurs des clichés du fonds Marty. Des tirages originaux de Capa et Taro conservés à New York, à ceux ayant servi pour le livre de 1937, La Lucha del pueblo espanol por su libertad, la reconstitution s’apparente à un puzzle, et l’image véridique de cette aventure apparaît plus vivante, constituée d’engagements individuels, de drames qui n’ont rien d’anodin. Quantité de portraits et de photographies “ordinaires”, sans signature connue, donnent aujourd’hui un visage multiple à ce qui était devenu une page d’histoire ternie par l’oubli.
Jusqu’au 14 juin, Musée d’histoire contemporaine/BDIC, Hôtel national des Invalides, cour d’honneur, 129 rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 44 42 38 39, du mardi au samedi 10h-13h, 14h-17h30, dimanche 14h-17h30, fermé le 29 mai et le 8 juin.
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Images retrouvées d’une guerre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Images retrouvées d’une guerre