Les techniques auxquelles il est fait appel dans l’établissement de la preuve par l’image permettent de dire l’Histoire. Leur évolution depuis le début du XXe siècle est relatée au Bal, à Paris.
PARIS - Avec « Images à charge. La construction de la preuve par l’image », programmée en ouverture de la célébration des 5 ans du Bal, sa directrice, Diane Dufour, s’attaque à l’Histoire tout en rappelant la vocation du lieu, appelé à interroger l’image-document et confronter les approches. À travers onze cas, depuis la photographie de scènes de crime établie par Alphonse Bertillon au début du XXe siècle jusqu’à nos jours, est retracée l’évolution et sont démontrés les enjeux des pratiques forensiques, ou « moyens scientifiques et technologiques mis en œuvre pour enquêter et établir les faits devant les tribunaux dans le cadre de violences de crimes ou de violences individuelles ou collectives », selon la définition d’Eyal Weizman. L’architecte a fondé à Londres le « Forensic Architecture », un laboratoire médico-légal pluridisciplinaire investi dans la défense des droits de l’homme face à la violence d’État. Il est aussi l’un des contributeurs de cette exposition au même titre qu’Eric Stover, directeur de la faculté du Human Rights Center à l’université de Californie à Berkeley, auteur d’enquêtes sur les crimes de guerre, notamment au Rwanda, à Srebrenica et dans le Kurdistan irakien. L’un des intérêts d’« Images à charge » est en effet de rassembler, aux côtés de l’historienne de la photographie Luce Lebart ou de l’historien et réalisateur Christian Delage, des figures qui ont fait ou font évoluer la science forensique. Car le rôle crucial dans l’établissement de la preuve n’est pas tant celui de l’opérateur des images que de celui qui va les légender, les mots constituant une preuve à charge. En témoignent les photographies aériennes des champs de bataille de Verdun prises avant et après l’assaut ou les portraits d’hommes et de femmes réalisés avant leur exécution dans l’ex-Union soviétique des années 1930, des images devenues depuis des documents sur les purges staliniennes. « Dans le procès de Nuremberg, le procureur adjoint ne dit pas “nous allons vous montrer la réalité des camps de concentration”, il dit “nous allons vous montrer un film sur ce que les mots camps de concentration veulent dire” », souligne Diane Dufour. Relativement à ce procès, Christian Delage a réalisé pour l’exposition un montage d’archives sur la confrontation des nazis aux images de leurs crimes ; film qui éclaire les raisons pour lesquelles le cinéaste John Ford établit un protocole de prise de vue destiné à ses équipes parties filmer les camps de concentration. Dès 1942, le président américain Franklin Roosevelt entend en effet traduire les nazis devant la justice sur la base de preuves crédibles.
Du sujet à l’objet
La mise au point de la technique vidéographique par le pathologiste et photographe allemand Richard Helmer permettra la découverte et l’identification au Brésil du cadavre de Josef Mengele, ce grâce à la superposition du crâne du défunt au visage jeune, adulte puis âgé du médecin d’Auschwitz. Le procédé marquera un tournant dans les pratiques forensiques : comme l’explique Eyal Weizman, « ce n’est plus le sujet mais l’objet qui occupe désormais le centre de la scène judiciaire », l’objet en tant que crâne ou ossements de fosses communes par exemple. Cette évolution est illustrée dans les quatre derniers cas exposés, notamment dans l’inventaire des destructions de bâtiments de Gaza au cours des attaques israéliennes, inventaire entamé en 2009 par le ministère des Travaux publics et du Logement de la ville palestinienne. Autre exemple édifiant : le décryptage par Forensic Architecture, dans le cadre d’une enquête des Nations unies, d’un témoignage vidéo, afin d’apporter la preuve de l’attaque d’un drone américain à Miranshah (Pakistan).
D’un siècle à l’autre, le différentiel de lisibilité de l’image entre celle réalisée par Alphonse Bertillon ou Rodolphe A. Reiss et celle produite par un satellite donne la mesure des moyens techniques désormais engagés pour fournir la preuve. Une preuve, précise Eyal Wiezman, qui est fournie aujourd’hui par les « organisations non gouvernementale [bien plus que par] ceux qui représentent la force publique ou l’État ».
Commissariat : Diane Dufour avec Luce Lebart, Christian Delage, Eyal Weizman, et les contributions de Thomas Keenan, Tomasz Kizny, Jennifer L. Mnookin, Anthony Petiteau, Eric Stover
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Images à charge historique
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 août, Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, tél. 01 44 70 75 50, www.le-bal.fr, mercredi-vendredi 12h-20h, samedi 11h-20h, dimanche 11h-19h, jeudi jusqu’à 22h, entrée 5 €. Catalogue, coéd. Le Bal/Éditions Xavier Barral, 240 p., 280 ill., versions en français et en anglais, 45 €.
Légende photo
Alekseï Grigorievitch Jeltikov, Russe, né en 1890 dans le village de Demkino, dans la région de Riazan. Études élémentaires. Quitte le VKP(b) en 1921 en signe de désaccord avec la Nouvelle politique économique (NEP) du parti. Serrurier dans les ateliers du métro moscovite. Domicilié à Moscou, rue Sadovaïa-Tchernogriazskaïa 3, app. 41. Arrêté le 8 juillet 1937. Condamné à mort le 31 octobre 1937. Exécuté le jour suivant. Réhabilité en 1957. © Archives centrales FSB et Archives nationales de la Fédération de Russie GARF, Moscou, copies publiées à partir des archives de l’Association internationale Memorial, Moscou.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Images à charge historique