Le Mamac propose une relecture réussie de l’histoire de l’art cinétique à travers la façon dont le cinéma s’en est emparé, tantôt comme d’un décor, tantôt comme d’un langage visuel abstrait.
Nice. Redonner aux œuvres cinétiques une capacité à exciter le regard qu’on ne leur prêtait plus et éclairer ainsi tout un pan des collections du Mamac ? Telle est la mission que se sont assignées avec un plaisir manifeste Héléne Guenin, directrice du musée niçois, et Pauline Mari, commissaire associée de cette exposition riche également de plusieurs prêts. L’idée : dérouler le fil d’une liaison peu explorée entre le cinéma et cette avant-garde artistique des années 1960 qui lui emprunte le mouvement et la lumière. Hélène Guenin a déjà effleuré la question, Pauline Mari, elle, en a fait un ouvrage. Leur propos s’inscrit dans la thématique de la Biennale des arts de Nice, dont la quatrième édition a choisi de se concentrer cette année sur les influences multiples entre arts plastiques et 7e art. Le résultat est une réussite totale, capable de passionner aussi bien les connaisseurs que les néophytes, en révélant, dans un va-et-vient permanent entre les extraits de films et les œuvres, la façon dont s’est forgé sur grand écran un langage visuel. Du simple ornement cinétique à l’expression d’une violence indicible, de « l’attentat contre le nerf optique »à l’agitation sociale, c’est aussi une lecture de l’histoire qui apparaît en pointillé. Comme souvent, cette idylle visuelle née dans les années 1960 compte de nombreux malentendus, quelques exemples savoureux en sont ici exhumés. À commencer par celui-ci : Nicolas Schöffer est plus connu que Claude Lelouch quand il apporte sa caution d’artiste contemporain au réalisateur ; ce dernier tourne un opus aussitôt éreinté par la critique et boudé par le public. De ce fiasco ne reste qu’une séquence filmée et surtout, Chronos 10 (et écran) (1969), une œuvre tout en inox poli et projecteurs colorés, qui trône ici, sublime, dans un clignotement de machine à remonter le temps.
Julio le Parc inspire les tenues de Paco Rabanne portées par Brigitte Bardot, Jean-Christophe Averty place Gilbert Bécaud, « Monsieur 100 000 volts » dans un écrin graphique à la Vasarely, le flirt entre l’art et le grand écran, doucement, tourne à la cannibalisation, puis au pillage pur et simple. Dans Qui êtes-vous Polly Maggoo ? William Klein cite les sculptures des frères Baschet au générique, mais il suggère aussi un rapprochement entre l’obsolescence programmée de la mode et celle de l’Op Art, trop vu, trop copié. Paroxysme de cette fascination entre le cinéma et les arts cinétiques, la scène du vernissage de La Prisonnière, pour laquelle Henri-Georges Clouzot emprunte une quarantaine d’œuvres à la galerie Denise René, non sans critiquer l’embourgeoisement qui guette cette avant-garde. C’est l’occasion d’un flash-back pour revenir à la source du mouvement, ce Groupe de recherche d’art visuel (GRAV), dont on trouve l’audace chez les cinéastes de la Nouvelle Vague. Politique, puis érotisé – des ondulations charnelles des toiles de Bridget Riley reproduites sur les silhouettes des danseuses du Crazy Horse à la farce de ce néon abscons grivois de Morellet – l’Op Art vire à la perversité scopique, jusqu’au vertige, avant de n’être plus cité que comme un simple motif, une pulsation de l’époque.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : Illusions d’optique sur grand Écran