En 1947, après des mois passés à œuvrer dans l’insatisfaction, Alberto Giacometti achève l’Homme qui marche, image inoubliable de l’être nu, dépouillé de tout (vêtements, cheveux, sexe), de l’être rendu à son irréductible simplicité, de l’être saisi dans une marche qui est moins un mouvement qu’un branlement : un homme se met en route, fort de son seul vouloir et de son seul pouvoir.
De ce chef-d’œuvre filiforme, il ne reste que deux sculptures – le plâtre original, présenté dans la reconstitution de l’atelier accueillant les visiteurs à l’Institut Giacometti, et l’unique bronze qui en fut tiré, conservé à l’Alberto Giacometti-Stiftung de Zurich. Enfin réunies, ces deux œuvres majeures sont accompagnées de leurs splendides avatars, parmi lesquels La Place (1948), Figurine entre deux maisons (1950) et, plus encore, les Homme qui marche I, II et III (1960). Parfaitement exceptionnel, ce regroupement permet de mesurer la permanence et la fortune d’un thème, dont le cabinet des arts graphiques, peuplé de carnets, d’estampes et de photographies, expose les nombreuses itérations et les fantastiques obsessions. Si Auguste Rodin, avec sa sculpture homonyme, présentée puis agrandie au seuil du nouveau siècle, est une source incontournable, l’Homme qui marche de Giacometti emprunte assurément à l’art égyptien et aux kouroï grecs archaïques, toutes figures archétypales du dénuement, en marche vers l’ailleurs et l’inconnu, vers le mystère infini de la présence. Éblouissant.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : Autopsie d’un chef-d’œuvre