Promoteur immobilier ayant fait fortune à Manhattan, Ian Woodner, décédé en 1990, fut l’un des premiers collectionneurs de dessins de maîtres anciens au monde. Quatre ans après avoir acquis une partie de son exceptionnelle collection, la National Gallery of Art lui rend hommage en exposant cent quatorze de ses plus belles pièces.
NEW YORK (de notre correspondant) - Bien qu’il ait acquis un superbe Satyre de Benvenuto Cellini dès 1959 (contre Robert Lehman), Ian Woodner ne se consacra véritablement à sa passion qu’à partir de la fin des années soixante-dix. Son caractère bourru ne lui ayant pas fait gagner beaucoup d’admirateurs dans le monde des musées, Andrew Robinson, conservateur en chef du département des Dessins à la National Gallery of Art, a pu occuper le terrain laissé vierge par ses confrères new-yorkais, lorsqu’il fit sa connaissance en 1974.
Quatre ans plus tard, Woodner offrait à la National Gallery un dessin du Guerchin, suivi de plusieurs autres dons au cours des années quatre-vingt. En 1988, selon Robinson, Woodner avait même commençé à étudier la possibilité de faire don de l’ensemble de sa collection au musée de Washington.
Toutefois ce projet n’a pu aboutir avant sa mort, survenue en 1990. Ses filles, Diane et Andrea, se sont alors heurtées à d’énormes difficultés dans le règlement de sa succession. Il apparut notamment que deux dessins, une Madone à l’Enfant, par Hans Baldung Grien, et Saül menaçant David, par Tobias Stimmer, avaient été extorqués par les nazis à leurs anciens propriétaires néerlandais : le Baldung provenait même de la collection Koenigs (lire le JdA, n° 2 et 18, avril 1994 et octobre 1995). Depuis, les deux feuilles ont été discrètement restituées au gouvernement des Pays-Bas.
Pour acheter ses dessins, Woodner avait en outre contracté des emprunts importants, et beaucoup espéraient que sa collection serait mise aux enchères. Ses filles ont au contraire consolidé les liens qu’il avait tissés avec la National Gallery en lui faisant don d’un dessin de Signorelli, en 1991. Puis, le musée a conclu un accord original avec les héritières. "Sur le millier de dessins que comptait la collection", explique Andrew Robinson, "nous avons retenu les cent quarante-cinq feuilles les plus remarquables.
La National Gallery a alors acheté deux dessins, un Cellini et un Vasari (pour 50 millions de francs environ, de source bien informée), et le reste lui a été confié en dépôt. Depuis, le musée a reçu des donations régulières et, à ce jour, il détient trente-deux dessins de Carpaccio, Raphaël, Barocci, Andrea del Sarto. Quant au reste de la collection, plus de trois cents feuilles ont déjà été vendues chez Christie’s. Mais la famille conserve encore l’incomparable collection de pastels et de dessins d’Odilon Redon."
De nombreuses attributions nouvelles
De son vivant, Woodner régentait d’une poigne de fer les attributions de ses dessins les plus remarquables, mais l’exposition présentée aujourd’hui s’est naturellement libérée de cette emprise.
Parmi les nouvelles attributions relevées dans le catalogue – dont la coordination a été confiée à Meg Morgan Graselli, conservateur à la National Gallery –, figure une enluminure de manuscrit attribuée par Woodner à Fra Angelico, mais identifiée par Laurence Kanter comme un beau Zanobi Strozzi ; la Tête de jeune garçon, déjà exposée comme étant de la main de Hans Holbein le Jeune, serait en fait une copie de l’original conservé à Chatsworth.
Au nombre des découvertes, une page de la Chronique Cockerell – qui a fait l’objet d’une quantité d’attributions allant de Fra Angelico (pour Berenson) à Jean Fouquet (pour Woodner) –, serait due, selon Graselli, à un maître hollandais peu connu, Barthólomy van Eyck. De même, un dessin à la plume pour un Casque de parade, acquis par Woodner comme étant "attribué à Rosso Fiorentino", a été identifié de manière concluante par Sylvie Beguin comme une œuvre rare de Jean Cousin l’Ancien.
Et si l’Aile gauche d’un geai bleu accède définitivement au statut de chef-d’œuvre de Hans Hoffmann, la paternité du dessin à la plume L’Annonciation de la Vierge et de la gouache Scène pastorale reste à Dürer.
CHEFS-D’ŒUVRE DE LA COLLECTION WOODNER, National Gallery of Art, Washington, jusqu’au 28 janvier. Catalogue coordonné par Meg Morgan Graselli.
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Hommage à la collection Woodner
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Hommage à la collection Woodner