Curieuse sélection que celle du ministère de la Culture, qui intercale parmi les onze expositions d’intérêt national retenues pour l’année 2003, un projet aussi échevelé que passionnant baptisé « Après la fin de l’art (1945-1960) » et a priori fondé sur la négation même de l’œuvre… Mené avec enthousiasme par Yan Ciret, l’exposition abritée au musée d’Art moderne de Saint-Étienne rassemble en un faisceau de lignes secrètes et hardies, œuvres plastiques, projections de films, créations sonores et poétiques, éditions diverses ou documents d’archives sous l’égide révolutionnaire et toujours vivace du dépassement/destruction de l’art. Le filigrane avancé est fragile, rare et discutable : une ample filiation amorcée par le lettrisme d’Isidore Isou, précédé des explorations de Cobra, en passant bien sûr par les « dérives » situationnistes et politiques de Debord, les détournements de Villeglé, Fontana ou Yves Klein (dont les premiers écrits sont d’ailleurs publiés dans les revues lettristes) pour tenter finalement la démonstration d’une persistance actuelle, autour des figures de Thomas Hirschhorn, Raymond Hains, Olivier Blanckart ou Jean-Luc Moulène, reprenant processus, procédures, techniques, matières pauvres et armes délivrés par leurs aînés. Les deux fils patiemment déroulés, celui de l’écriture et celui de l’image plastique, donnent alors naissance à un parcours d’images culturelles comme œuvres, d’œuvres comme images culturelles, gestes de lacération, perforation, destruction de l’image et du langage, exploitant largement le principe du montage et de
la culture de masse comme réservoir de formes. Une pratique de la rupture expérimentée par Isou dans les champs plastiques, sonores et visuels, mais également largement éprouvée ailleurs (mouvement pour un Bauhaus imaginiste en Italie, institut psychogéographique de Londres, etc.). C’est ce que s’emploie à montrer cette exposition en affrontant un chapitre souvent négligé de l’histoire culturelle européenne et en dessinant un très large spectre aux accents nihilistes, sous le signe du dépassement de l’art et de ses enjeux esthétiques, ou plutôt sous le signe d’une tradition de l’avant-garde visant à articuler fermement pratique artistique, utopie sociale, comportement et mode de vie, réagissant brutalement à l’émergence de la société de consommation et proclamant avec la fin de l’art d’autres alternatives en matière de création et de diffusion. Une exposition qui tente finalement une réflexion inédite sur la notion même d’avant-garde, sur sa mort annoncée en 1968, et sur l’émergence d’une rupture nouvelle, que Yan Ciret qualifie de « dernière ligne underground » française...
« Après la fin de l’art », SAINT-ÉTIENNE (42), musée d’Art moderne, La Terrasse, tél. 04 77 79 52 52, jusqu’au 29 février 2004.
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Histoire(s) secrète(s) de l’avant-garde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Histoire(s) secrète(s) de l’avant-garde