Manipulant le son pour délivrer des œuvres fondées sur la mémoire et la disjonction entre espace et temps, la Canadienne Janet Cardiff bénéficie d’une rétrospective au Castello di Rivoli à Turin. Parallèlement, le musée propose une importante exposition collective intitulée “Les modernes”? qui, à travers les travaux d’une vingtaine d’artistes tels que Ricci Albenda, Julie Mehretu, Simon Starling, Jorge Pardo ou John Pilson, entend relever la flamme du progrès, de la rupture et de la nouveauté, non sans une certaine nostalgie.
RIVOLI - En 2001, le pavillon canadien de la Biennale de Venise était un des plus courus. Devant la file d’attente, nombreux sont ceux qui ont renoncé à sa visite. À l’intérieur, par groupes restreints, les visiteurs étaient invités à assister à un spectacle qui se déroulait simultanément sur l’écran d’un cinéma miniature, et dans leur esprit, porté par des écouteurs. Aujourd’hui acquis par le Castello di Rivoli, le Paradise Institute de Janet Cardiff et George Bures Miller rejoue au rythme de séances d’une dizaine de minutes ses murmures et ses sonneries de portables. Au centre de la rétrospective consacrée par le musée italien à l’artiste canadienne et à son compagnon, la pièce se présente vue de l’extérieur comme un caisson de bois, une boîte à illusions un peu désuète qui rappelle la magie des baraques de foire. Mais aux lanternes magiques l’artiste a substitué la magie du son, ou plutôt de son enregistrement. Disjonction entre le temps et l’espace, les promenades qu’elle développe depuis quelques années superposent à l’expérience physique d’un environnement, des sons préalablement captés dans ce même lieu. Le marcheur découvre le lieu au présent mais l’écoute (ou le voit dans le cas d’un enregistrement effectué avec une caméra numérique) au passé. Ici présentés dans un mobilier de consultation, Villa Medici Walk (1998) ou In Real Time (1999) perdent donc une grande partie de leur intérêt. Plus adapté à la forme muséale, The Dark Pool (1995) est un grenier à souvenirs où radios et phonogrammes diffusent l’ambiance d’un autre temps. Mais si la problématique de la mémoire et de ses strates occupe dans ses grandes largeurs l’œuvre de Janet Cardiff, c’est bien dans l’instant qu’elle se révèle de façon spectaculaire comme le prouvent les 40 haut-parleurs de Forty-Part Motet : a Reworking of Spem in Alium by Thomas Tallis, 1575, substitution sensorielle – et au final physique – des 40 chanteurs d’une chorale anglaise.
Le retour des Modernes
Présentée simultanément au Castello, l’exposition “I Moderni” (les modernes) signée par Carolyn Christov-Bakargiev, conservateur en chef du musée, fait, elle aussi, place aux souvenirs. Elle ne propose rien de moins qu’une nouvelle version de la modernité à travers les œuvres d’une vingtaine d’artistes qui “sont arrivés à maturité dans les écoles d’art où le postmodernisme était la règle et le déconstructivisme postconceptuel était devenu académique [...]. Aussi bien dans la sphère occidentale que dans les contextes coloniaux, de plus en plus d’artistes entendent explorer le modernisme plutôt que de le démolir”, écrit-elle en introduction du catalogue qui accompagne la manifestation. La nostalgie d’une époque “héroïque” apparaît en effet aujourd’hui comme un sentiment partagé par de nombreux artistes. Jorge Pardo revisite avec des tuyaux et du bois pauvre une chaise de Le Corbusier (Me and my Mum, 1990), tandis que Simon Starling expose The Black Stack (2001), une pile de chaises industrielles qu’il a fait réaliser à la main. Elisabetta Benassi et John Pilson se servent, eux, du bâti moderne comme d’un terrain de jeu. La première transpose, le temps d’un film (Terra, 2003), le Lingotto (bâtiment historique de la FIAT) en une base lunaire, tandis que le second organise dans sa vidéo Above the Grid (2000) des activités ludiques pour cadres emprisonnés dans des tours de multinationales. Mais au-delà des regards attendris, l’exposition nourrit aussi l’ambition de pointer des démarches réellement “modernes” en ce qu’elles sont nourries par la rupture, la nouveauté ou l’alliance avec la technologie. Si ce dernier point est largement perçu sous un angle sonore avec une sélection de musiques électroniques, pour le reste, on n’a visiblement toujours rien inventé de mieux que la peinture et la sculpture ! Théoriques et spéculatifs, les grands formats de Julie Mehretu s’inscrivent ainsi dans la droite ligne de l’abstraction historique, mais en renouvellent la portée par l’adjonction de vues d’architectures éclatées et de structures réticulaires, évocations d’univers neuronaux et cybernétiques. Quant à Ricci Albenda, ses constructions en creux et en volume (Universe (Benny), 2002) relèvent bien de l’héritage constructiviste. Mais, relayées par le minimalisme américain, elles ont été dévoyées par des expériences nouvelles de la vision, accordées à une génération dont l’environnement se décide et se dessine aussi dans un espace virtuel.
JANET CARDIFF, jusqu’au 31 août, LES MODERNES, jusqu’au 3 août, Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea, Piazza Mafalda-di-Savoia, Rivoli (Turin), tlj sauf lundi, 10h-17h du mardi au jeudi, 10h-22h du vendredi au dimanche, catalogues. Et aussi ALESSANDRA TESI jusqu’au 29 juin, Electric Labyrinth d’ARATA ISOZAKI, jusqu’au 24 août, GIORGIA FIORIO, jusqu’au 31 août.
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Histoires passées et futures
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Histoires passées et futures