Le Musée des impressionnismes rend sa place éminente à ce pilier des néo-impressionnistes libéré par la couleur.
Giverny. Poursuivant son exploration du postimpressionnisme, Marina Ferretti-Bocquillon, directrice scientifique du Musée des impressionnismes de Giverny, présente une rétrospective consacrée à Henri Edmond Cross (1856-1910) accompagnée d’un excellent catalogue. Si le Musée Marmottan avait donné une large place au peintre dans une exposition sur le néo-impressionnisme en 2012, la dernière rétrospective importante remontait à 1998, à Douai. Des 109 œuvres accrochées à Giverny, la plupart ont été déjà présentées au public. Cependant, une attachante toile de jeunesse, Blanchisseuses en Provence (vers 1885-1889), conservée à Paris (Musée des arts décoratifs), sort pour la première fois de la réserve depuis sa donation par Signac et Roussel en 1929. Une aquarelle, Portrait de Nietzsche (s.d.), et un fusain, Femme peignant ses longs cheveux (vers 1893), en collections particulières, n’ont jamais été montrés, non plus qu’une belle Étude de nu (1906-1908), une huile sur carton appartenant à la Bibliothèque royale de Belgique. Il faut enfin noter que l’exposition met en valeur les œuvres sur papier dont bon nombre, provenant de la Collection Olivier Senn conservée au MuMa du Havre, ne sont pas sorties de l’ombre depuis 2011.
Le parti pris chronologique met parfaitement en lumière le propos de Marina Ferretti-Bocquillon, qui montre que la carrière de l’artiste est une « prodigieuse conquête de la couleur ». La première salle raconte comment le jeune homme a découvert la lumière du Midi, lorsque sa famille s’est installée à Monaco, en 1883. Comme pour Van Gogh plus tard, ce fut une révélation, confortée par la rencontre en 1884 avec Georges Seurat, pour lequel il garda toujours une admiration passionnée, et Paul Signac, qui devint un ami pour la vie. Pourtant, bridé dans ses aspirations par une famille assez traditionaliste dont il dépendait financièrement, il ne prit le virage du néo-impressionnisme qu’en 1891, période que présente la deuxième salle.
Cross s’installa cette année-là dans le Var, où il finiras sa vie. Au moment de son déménagement, il brada ses œuvres passées, emportant seulement le grand portrait d’Irma Clare, sa compagne. Ce tableau, Madame Hector France (1891), marque son entrée dans le divisionnisme. Il s’affranchit vite du pointillisme car, écrit-il à Signac, « une observation trop absolue de la technique ne nous mène-t-elle pas à la sécheresse ? » Sa peinture témoigne désormais d’une sensualité assumée et de ses progrès dans l’exaltation de la couleur. En suivant le parcours de l’exposition, on mesure ce que lui doit Matisse qu’il attira dans le sud de la France. La troisième salle relate le succès du peintre dans les années précédant sa mort et le « panthéisme nietzschéen », selon les mots de la commissaire, qui baignait alors son travail. À côté d’œuvres remarquables – La Mer clapotante (vers 1902-1905), La Forêt (deux femmes nues sous les chênes-lièges) (1906-1907), Faune (1905-1906), les aquarelles, que Cross exposait en nombre à la fin de sa vie, et les études à l’huile montrent un artiste plus libre encore. En témoigne Venise. Nuit du festival du Rédempteur (1903), évocation magique d’un feu d’artifice sur la lagune.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Henri Edmond Cross, à la conquête de la couleur