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Hella Jongerius, la grammaire du textile

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2019 - 510 mots

La designeuse, venue avec les machines de son invention, déploie dans l’espace de la fondation Lafayette Anticipations ses fascinantes explorations des qualités physiques du tissu.

Paris. Rares sont les moments où l’on peut s’immiscer dans les « coulisses » d’une œuvre, au cœur du processus de création d’un artiste. C’est précisément le cas dans cette singulière et passionnante exposition de Hella Jongerius, 56 ans, appelée à évoluer en permanence, au fil – c’est le mot ! – de l’élaboration de pièces fabriquées in situ.

Intitulée « Entrelacs », cette présentation conçue par la Néerlandaise met justement à l’honneur le textile, à travers une vaste série d’expérimentations accrochées dans la fondation Lafayette Anticipations, à Paris.

Cela fait plus de vingt-cinq ans que cette designeuse industrielle manipule les tissus et l’art du tissage. En réalité, depuis qu’elle a ouvert son propre studio, le Jongeriuslab, à Rotterdam, en 1993, aussitôt après avoir décroché son diplôme, section textile, à la Design Academy d’Eindhoven. Atelier qu’elle a, il y a une décennie, transporté à Berlin. Depuis un quart de siècle donc, Jongerius jongle comme nul(le) autre entre savoir-faire immémoriaux et industrie ou technologies de pointe avec un objectif en ligne de mire : instiller une beauté « artisanale » dans tout item fabriqué en série. Bref, Hella Jongerius est une spécialiste et l’installation est proprement époustouflante.

Un métier permettant de tisser en volume

Ainsi le lieu s’est-il transformé en un gigantesque… métier à tisser, à l’image de ce monumental Space Loom déployé dans la « tour d’exposition », laquelle permet d’y dérouler des fils de chaîne d’une longueur inhabituelle : 16 mètres. Pour l’occasion, la designeuse a aussi déménagé de son atelier berlinois quelques machines : un métier sans couture qu’elle a inventé et avec lequel il est possible de tisser en volume, un jacquard numérique ou une tresseuse personnalisée par ses soins. On peut admirer, sur les cimaises et socles, les étonnantes créations nées de ces outils. « C’est comme apprendre une nouvelle grammaire, dit Jongerius. D’un côté, il y a des schémas “mathématiques’’ ; de l’autre, l’intuition. Le tout permet des variations infinies. » Du plus transparent au plus dense, la variété est au rendez-vous. Jongerius n’hésite pas à tout montrer, et c’est fascinant : les pistes explorées, les réussites, mais aussi quelques… ratages. « Le tissage textile est un sujet à plusieurs strates – économique, sociale et culturelle. Or, depuis quelques décennies, il y a une méconnaissance croissante de la manière dont sont confectionnés les tissus, relève la designeuse. En outre, les gens sont en général très conservateurs, d’où une certaine appréhension. Enfin, dans notre monde dominé par l’outil numérique, le textile, notamment celui qui concerne la mode à bas prix, est devenu très “plat’’, en “deux dimensions’’. Dans le monde “réel’’, je milite, au contraire, pour davantage d’expression, pour retrouver de la tactilité dans les matériaux, créer des surfaces plus expressives, plus présentes. »

Au terme du parcours, le visiteur devinera l’amplitude du champ des possibilités. L’exposition, de même, ne cessera de se métamorphoser au fur et à mesure des nouvelles productions issues des divers « métiers » en action. Tissage(s) à suivre donc !

Hella Jongerius, Entrelacs,
jusqu’au 8 septembre, Lafayette Anticipations, 9, rue du Plâtre, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Hella Jongerius, la grammaire du textile

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