Depuis le début des années quatre-vingt, Simon Hantaï s’est retiré de la scène artistique, se retranchant dans le silence et refusant d’exposer. Au moment de sa retraite, l’artiste bénéficiait pourtant d’une reconnaissance officielle ; il venait tout juste d’exposer ses grandes toiles au Capc de Bordeaux et de représenter la France à la Biennale de Venise. Après plus de quinze ans d’absence, le peintre sort de sa réserve à travers une donation et plusieurs expositions et publications. L’occasion de revenir sur l’œuvre d’une des figures marquantes de l’art contemporain français.
Il est des artistes qui courent après toutes les reconnaissances. Il en est d’autres qui se méfient au contraire des louanges – souvent mises à profit par les circuits commerciaux – et se retranchent dans un isolement méditatif. Simon Hantaï fait sans aucun doute partie des seconds. Déjà, alors que le peintre était proche des surréalistes, André Breton soulignait ce trait de caractère dans la préface du catalogue de sa première exposition personnelle, en 1953, à la galerie l’Étoile Scellée, à Paris : “Simon Hantaï aussi, parce qu’il a fallu presque lui faire violence pour le décider à “exposer”, tant il répugne à se laisser prendre dans le circuit commercial qui est, de nos jours, le ver vainqueur de l’expression artistique et tant cela nous renseigne sur la rare qualité de son type de résonance intime, en définitive l’unique donnée sur quoi la toute confiance puisse s’édifier”. Hantaï alternera d’ailleurs les “retraites” au cours de sa carrière.
L’artiste d’origine hongroise s’éloigne dès 1954 du Surréalisme pour rompre avec le mouvement l’année suivante, ses peintures se tournant alors vers une abstraction teintée de lyrisme. En 1955, Hantaï affirmait avec Schuster que “la Gestalt-théorie démontre que toute forme, pour déterminée qu’elle soit par ses caractéristiques autonomes, est surdéterminée par son potentiel d’intégration à une structure, et que le réel n’est pas une association des éléments qui le composent, mais la logique interne (l’étincelle) qui ordonne ces éléments”. Son art est largement influencé par les drippings de Pollock, dans une mise en avant du geste et une revendication de l’automatisme. Il présente ainsi, en 1956, à la galerie Kléber, Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset, un grand tableau de 2,4 x 5,2 m aujourd’hui dans la collection du Musée national d’art moderne, dont Hantaï a précisé qu’il avait été “exécuté un après-midi de fascinations érotiques (l’acte d’amour s’unissant à l’acte de peindre) par actes orgiaques arbitraires dans un climat magico-érotique”.
Après une collaboration avec Georges Mathieu, Simon Hantaï s’éloigne pourtant de l’Expressionnisme abstrait et travaille entre 1958 et 1959, chaque jour pendant 365 jours, sur une seule et même toile. Cette surface rose (Sans titre, coll. Mnam) de grandes dimensions – 3,3 x 4,25 m – est recouverte d’huile blanche, puis grattée à la lame avant d’être recouverte de textes de l’année liturgique ou choisis parmi ses lectures (saint Augustin, la Bible, Hegel, Hölderlin…), écrits à la plume. Cette pièce essentielle allait constituer une transition vers ses tableaux réalisés suivant la méthode du pliage.
À partir de 1960, en effet, l’artiste commence à froisser, à plier, à rouler en boule la toile avant d’y appliquer la peinture. Une fois le support déplié, les pigments se sont répartis de façon aléatoire. Les espaces laissés vierges brillent par leur blancheur. Ainsi que le rapporte Geneviève Bonnefoi dans son ouvrage de 1973, Hantaï dira : “Maintenant, ce n’est pas ce que je peins qui compte, mais ce que je ne peins pas – c’est le blanc”. C’est justement cette opposition du peint et du non peint qui fait l’œuvre. L’influence de Pollock n’est pas non plus absente, avec ces motifs qui recouvrent la toile dans son ensemble, à la manière des all-over. En permettant à la matière de se répartir de façon aléatoire sur le support, le peintre réalise son œuvre “à l’aveugle”, puisqu’il ne découvre le résultat qu’en dépliant la toile, la peinture étant pour ainsi dire “achevée”. Selon Georges Didi-Huberman, “la relève consiste, notamment, à utiliser la toile comme un matériau de contact, de manipulation, de froissage, de nouage, etc., et ainsi d’en finir avec l’idée d’une surface projective pour des images venues “de l’intérieur” du peintre, qu’elles soient axiomes à imposer ou fantasmes à exprimer. Ici, l’intérieur de la toile – et non celui du “moi”, voire du sujet – qui, en chaque tableau, se délivre et s’expose. Tel serait bien le pan de la peinture selon Hantaï : un devant-dedans que la toile elle-même plie et déplie, implique et explique, éloigne et rapproche, articule et désarticule”. Cette utilisation de la toile elle-même dans le processus esthétique devait alors avoir une influence déterminante sur toute une génération de jeunes artistes des années soixante, notamment ceux du groupe Supports-Surfaces. Cette méthode du pliage amenait Hantaï à déclarer qu’“il est possible que l’histoire de la peinture ne soit que la question du pli”, rappelle, en 1992, A. Baldassari.
Partant de sa méthode, l’artiste a réalisé de nombreuses séries qui se sont succédé depuis les années soixante – les Mariales, Catamurons, Meuns, Études, Tabula…–, jusqu’aux dernières œuvres encore inédites : les Laissées. Hantaï a découpé ses toiles exposées en 1981 à Bordeaux, pour les détruire puis les reconstruire. Un acte de renaissance à la fois fidèle à l’esprit du peintre et lourd de signification.
À VOIR
“Donation Hantaï�?, à partir de la mi-mars au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
“Hantaï, Laissées et autres peintures�?, Renn Espace, du 7 mars au 21 juin, Paris.
À LIRE
A. Baldassari, Simon Hantaï, Paris, Centre Georges Pompidou, 1992.
Geneviève Bonnefoi, Hantaï, coll. “Artistes d’aujourd’hui�?, Abbaye de Beaulieu, 1973.
André Breton, “Simon Hantaï�?(1953), in Le Surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, 1965.
Georges Didi-Huberman, L’Étoilement, conversation avec Hantaï, Éditions de Minuit, 1997, 128 p., 18 ill. in-texte, 70 F.
Donation Hantaï, catalogue de l’exposition, avec des textes d’Alain Cueff et Marcelin Pleynet, éd. Paris Musées.
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Hantaï sort de sa réserve
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Hantaï sort de sa réserve