\"Filming Things\", une exposition à caractère rétrospectif – près de trente œuvres – de Hannah Collins ouvre l’ère \"centre d’art contemporain\" que Régis Durand semble vouloir imprimer au Centre national de la photographie (CNP) dont il est le nouveau directeur. L’hermétisme apparent des travaux de Hannah Collins est-il propre à convaincre un nouveau public ? Il faudra peut-être attendre la présentation du persuasif Thomas Ruff à l’automne, pour entraîner meilleure adhésion.
PARIS. Les visiteurs pourront au moins voir du changement au CNP : après le grand déballage de Peter Beard, l’austérité peu loquace et parcimonieuse d’une artiste britannique qui "utilise la photographie", selon une formule consacrée et contestable. L’option est claire : la pratique photographique dont il s’agit ne s’inscrit pas dans la continuité historique du médium mais plutôt dans le champ artistique présent (à la suite de Robert Smithson ou de Douglas Huebler, pour donner un exemple). Depuis une dizaine d’années, Hannah Collins – qui figurait déjà dans les expositions "Une autre objectivité", en 1989, et dans "Le monde après la photographie", en 1995 – propose des pièces de très grand format, en général reportées sur toile, se présentant davantage comme des espaces à investir, grandeur nature, que comme des photographies au sens habituel – des images à regarder. C’est du reste en photographiant des installations qu’elle est venue à ce nouveau support, et ses premières œuvres ne sont guère que des vues d’installations assez sommaires (Money, Death and Industry, 1986 : deux adultes affalés sur une table, une télévision allumée que regarde un enfant). Mais cette formule n’est pas constante, et il devient vite ardu de se placer au bon niveau de signification exigé (ou non?) ; on passe de la métaphore benoîtement appuyée de Clouds, 1989, ou Hair with Eyes,1992 (une chevelure féminine constellée d’yeux de verre), ou Grapes, 1989 (une grappe de ballons), à l’insignifiance cryptée de la série In the course of Time, 1996, par laquelle l’artiste revient sur les traces de ses origines polonaises en même temps que sur les méfaits écologiques d’une histoire récente. Ces vues d’usines ou de sites para-industriels, assez anodines, ne se veulent ni dénonciatrices, ni démonstratrices, seulement médiatrices entre l’artiste et son monde intérieur, alors que le monde des images est en explosion permanente.
Insignifiance volontaire
Et nous, dans tout ça ? Pour un travail qui s’intitulait en 1992 Signs of Life, les signes font singulièrement défaut, du moins des signes un tant soit peu communs à l’artiste et au spectateur, et qui pourraient être "saisis" d’un regard. Au lieu de quoi on reste souvent étranger au propos, insensible à un message qui n’est pas même implicite, et l’on s’interroge sur les intentions, s’il y en a. Les textes, en particulier dans le catalogue, ne sont pas davantage explicites. On nous dit paradoxalement que ces images manifestent une présence exceptionnelle des choses ("pouvoir de condensation"), et que les propositions sont totalement ouvertes ("tout est en suspens"). On nous fait encore le coup de l’aura – de et par Walter Benjamin –, ou le coup de la fragmentation photographique – la coupe du cadrage –, ou le coup de l’objectivité subjective, mais en retenant l’attention par la ruse d’un gigantisme d’écran, en dénégation de la multiplicité photographique. Et sur 6 mètres de long d’insignifiance volontaire, n’est-ce pas la photographie qui n’en finit pas de s’enfler en marketing, tout en renonçant à la pertinence du signe ?
HANNAH COLLINS, FILMING THINGS, 1986-1996, jusqu’au 5 mai, Centre national de la photographie, 11 rue Berryer, 75008 Paris, tlj sauf mardi 12h-19h.
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Hannah Collins ouvre l’ère Régis Durand
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Hannah Collins ouvre l’ère Régis Durand