ROME / ITALIE
À travers une trentaine de toiles, une exposition retrace le premier séjour romain couronné de succès de l’artiste bolonais et ses rapports avec Le Caravage et Le Bernin.
Rome. Guido Reni (1575-1642) fait son retour à Rome. Depuis trente ans, aucune exposition n’y avait été consacrée à cette grande figure du baroque. Elle est organisée à la Galerie Borghèse dirigée par Francesca Cappelletti, spécialiste du Caravage. « Guido Reni à Rome, le sacré et la nature » est sa toute première exposition depuis qu’elle a pris la tête, il y a un peu plus d’un an, d’un musée dont 610 000 visiteurs franchissaient les portes avant la pandémie.
Ce projet naît à l’été 2020 lorsqu’un tableau que l’on considérait comme perdu réintègre les collections de la Galerie. Danse champêtre (vers 1605, voir ill.) avait appartenu au cardinal Scipione – à qui l’on doit la villa qui porte son nom. La toile est mentionnée dans un inventaire de 1693 avant que l’on perde sa trace. Elle réapparaît en vente à Londres chez Bonham’s en 2008 où elle est attribuée à un anonyme de l’école bolonaise sans plus de précision. Dûment authentifiée, l’œuvre est finalement acquise par la Galerie Borghèse en 2020.
« Jusqu’à récemment, la production par Guido Reni de paysages à part entière et pas seulement comme fond de ses tableaux aux thèmes mythologiques ou religieux était pratiquement inconnue», explique Francesca Cappelletti, évoquant l’intérêt de l’artiste bolonais pour la peinture de paysage. On comprend cet oubli malgré l’indéniable qualité des tableaux qui côtoient, au premier étage de la Galerie, celles de Nicolò dell’Abbate, Giovanni Battista Viola, Giovanni Francesco Grimaldi, Annibale Carracci ou encore du Flamand Paul Bril. Et pas seulement en raison de leur alignement au centre de la Loggia de Lanfranco où la lumière ne les met pas en valeur.
Le contraste est frappant avec l’éblouissement qui saisit le visiteur parcourant les salles du rez-de-chaussée. « Instaurer un dialogue entre les œuvres » est une démarche désormais galvaudée omettant souvent d’ajouter « de sourds » pour qualifier un tel échange. La Villa Borghèse accueille somptueusement les chefs-d’œuvre de Guido Reni. Ceux du Bernin et du Caravage qui les entourent ne servent pas juste à les contextualiser. Car c’est avec ces deux peintres que Guido Reni se mesure en arrivant à Rome en 1600. Le protégé des frères Carracci les accompagne pour étudier les sculptures antiques et les œuvres de Raphaël, subjugué par son Extase de sainte Cécile (1514-1516). Le jeune Bolonais intègre l’équipe d’artistes réunis par Annibale Carracci pour le chantier des fresques du palais Farnèse aux côtés du Dominiquin et de Giovanni Lanfranco, avant d’entrer quelque temps plus tard dans l’atelier du Cavalier d’Arpin.
La ville sur laquelle règne le pape Paul V (Camille Borghèse) vit une rare époque d’effervescence culturelle. Elle est parsemée de chantiers, comme ceux de la basilique Saint-Pierre dont la façade est achevée en 1614 et pour lesquels travaillent les plus grands artistes de l’époque. Ils se fréquentent, s’observent, s’influencent mais aussi se disputent les commandes les plus prestigieuses. Guido Reni est l’un de ceux qui seront le plus sollicités par la famille Borghèse. Son succès est fulgurant : la décoration de deux salles du palais du Vatican, la décoration de la chapelle de l’Annonciation du palais du Quirinal, les fresques de la chapelle Pauline de la basilique Sainte-Marie-Majeure…
C’est tout naturellement que celui que l’on surnommera le « divin » entretient un rapport fécond avec le « maudit » Caravage dont l’un des principaux clients n’est autre que Scipion Borghèse. Fasciné dans un premier temps par le Caravage dont il adopte le ténébrisme et le naturalisme, Guido Reni ne tarde pas à emprunter sa propre voie. Celle de couleurs vives et d’une grâce « raphaelesque » pour ses personnages animés d’une vitalité douce et ferme.
La réponse au style vigoureux du Caravage est le fil rouge de cette exposition qui s’ouvre avec quatre magnifiques tableaux d’autel dont LaCrucifixion de Saint-Pierre (1604-1605) qui accueille le visiteur. Les salles adjacentes abritent les chefs-d’œuvre inspirés par des thèmes bibliques et mythologiques : le Massacre des Innocents (1611) de la Pinacothèque de Bologne, Lot et ses filles (1615-1616) conservé à la National Gallery de Londres, David avec la tête de Goliath (vers 1605) prêté par les Offices de Florence ou encore Atalante et Ippomène (1615-1618) en provenance du Musée Capodimonte de Naples.
C’est surtout l’environnement artistique romain qui est à l’honneur tant ces œuvres font écho aux sculptures et aux toiles qui ornent les salles. L’impact est parfois si saisissant que les personnages sortis du pinceau de Guido Reni semblent s’incarner dans le marbre vivant du Bernin. « Nous avons voulu raconter le premier séjour à Rome de Guido Reni entre 1600 et 1614, explique la directrice de la Galerie. On ne peut pas le définir comme un séjour de formation de jeunesse car c’est un artiste de 26 ans au succès déjà affirmé lorsqu’il arrive. Nous voulons montrer ce que lui a apporté cette ville et ce qu’il y a laissé. » La foisonnante Galerie Borghèse est l’écrin idéal d’une exposition qui ne témoigne pas simplement de la richesse artistique du XVIIe siècle romain à travers l’un de ses principaux artistes, mais de l’émulation entre les génies qui s’y côtoyèrent.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Guido Reni en majesté à la Galerie Borghèse