En 1995, le Metropolitan de New York avait passé au crible ses Goya au cours d’une exposition mémorable où cinq tableaux avaient été déclassés. Trois ans plus tard, le Musée des beaux-arts de Lille adopte une démarche moins offensive. Peintures, dessins et cartons ont été sélectionnés pour leur caractère autographe avéré et présentés par thèmes : l’occasion d’admirer, en toute quiétude, une soixantaine d’œuvres de l’artiste espagnol.
LILLE - Yeux écarquillés et teint de porcelaine, le jeune Manuel Osorio de Zuñiga ressemble étrangement à une poupée, dans son habit rouge et ses souliers de satin blanc. Nimbé de lumière, l’enfant se découpe sur un fond intrigant : trois chats fixent la pie qu’il tient en laisse. Ce chef-d’œuvre, l’un des rescapés du travail d’authentification auquel s’est livré le Metropolitan, figure en bonne place dans “Goya, un regard libre”.
Si toutes les œuvres présentées à Lille ne sont pas aussi admirables, les commissaires de l’exposition ont tenu à ce que leur attribution soit incontestable – à l’exception d’un portrait de la duchesse d’Albe, donné à un collaborateur de Goya –, épluchant les listes d’inventaire, recherchant les études préparatoires et recourant à la radiographie. C’est par ce procédé qu’a été authentifié le portrait de la reine Maria Luisa. Les spécialistes s’interrogeaient sur la contradiction entre l’âge du modèle et sa robe, typique de la mode de la fin du XVIIIe siècle. L’examen radiographique montre que Goya a rhabillé et actualisé un portrait ancien, celui-là même qui servit de modèle pour les effigies officielles des années 1790.
Mais les problèmes d’attribution ne forment nullement le propos central de l’exposition, qui s’appuie sur ses certitudes dans ce domaine pour proposer une lecture artistique de Goya, mettant en exergue la diversité des genres abordés à travers cinq sections thématiques. Le portrait y occupe évidemment une place prépondérante. Jusqu’au tournant du siècle, le peintre répond essentiellement à des commandes, contenant son naturalisme expressif dans les bornes de certaines conventions. Mais peu à peu, il s’attache uniquement à la personnalité du modèle et adopte un cadrage à mi-corps qui préfigure le portrait bourgeois. Si cette profondeur humaine se retrouve dans les scènes dramatiques ou sociales, comme le Rémouleur et la Porteuse d’eau, rien de tel n’est perceptible dans ses projets décoratifs pour le Palais du Pardo et l’Escurial, pourtant contemporains des portraits de Manuel Osorio de Zuñiga et Maria Teresa de Vallabriga. Le musée de Lille illustre cette facette moins connue de Goya avec plusieurs cartons de tapisseries et esquisses, comme les Lavandières, le Parasol ou encore le Pantin.
Jusqu’au 14 mars, Palais des beaux-arts, place de la République, Lille, tél. 03 20 06 78 00, tlj sauf mardi et jf 11h-18h, mercredi et vendredi 11h-21h (sauf décembre), matinées et lundi réservés au visites guidées. Catalogue RMN 290 F.
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Goya l’inclassable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Goya l’inclassable