Seul maître à bord de son « Voyage(s) en utopie », Jean-Luc Godard propose une non-exposition.
PARIS - On aime – ou on n’aime pas – Jean-Luc Godard pour ce langage à part, ce souffle résolument neuf qu’il apporta au cinéma dans les années 1960 et qu’il ne cesse de développer depuis, de Bande à Part (1964) à Détective (1985), de Passion (1982) à For ever Mozart (1996). Grand manipulateur d’images, passionné de technique et d’expérimentations, le cinéaste s’applique depuis près de cinquante ans à construire un œuvre complexe, insaisissable, éminemment proche de l’image que l’homme renvoie lors de ses apparitions publiques, imprévisibles, décalées. L’idée d’une exposition pouvait sembler aussi réjouissante que risquée tant l’écriture, le style de Godard n’appartiennent qu’au cinéma. Alors, que montrer ? Il fallait s’attendre à ce que le cinéaste, qui a tenu à concevoir seul son exposition au Centre Pompidou, à Paris – écartant de ce fait Dominique Païni qui, initialement, devait participer en tant que commissaire –, ne fasse pas les choses comme les autres, ni à moitié. Il ne s’agit donc pas de l’histoire de l’homme, ou de celle de ses films, encore moins d’une quelconque Histoire(s) du cinéma, pour reprendre le titre de son important ouvrage (qui reparaît ce mois-ci en un seul volume aux éditions Gallimard).
Godard semble aussi de venger du refus du Centre Pompidou de financer son premier projet.
« Voyage(s) en utopie » se veut, comme la plupart de ses longs métrages, à la croisée de la fiction, de l’autobiographie et du documentaire. Évitant soigneusement toute narration et brouillant au maximum les repères, Godard livre une exposition pour le moins déconcertante. « Si quelqu’un comprend ce que je dis, c’est que je me suis mal exprimé », disait l’auteur du Mépris au Festival de Cannes en 2004… Ici, aucun risque de comprendre quoi que ce soit dans ce bric-à-brac où s’entrechoquent pêle-mêle des documents relatifs à l’actualité, des objets de toute nature, des tables, des chaises, des fragments de parquet, des tableaux, des photographies, de (rares) extraits de ses films ou la projection d’un film pornographique. Sans oublier les phrases philosophiques, les citations, les sons et la musique diffusés dans les salles, formant une cacophonie générale… Si ce type d’associations a imposé le style et le talent du cinéaste, le concept ne franchit pas de façon convaincante le cap de l’exposition. Néanmoins, celle-ci a le mérite de se prolonger avec d’autres événements beaucoup plus attrayants. Une rétrospective intégrale de ses cent quarante films (courts et longs métrages) est proposée dans les deux salles de cinéma du Centre Pompidou jusqu’à la mi-août, et plusieurs ouvrages sont publiés dans le même temps, dont le précieux Documents, recueil de textes, de dialogues de films, de témoignages, de photographies et d’entretiens souvent inédits avec Jean-Luc Godard, qui fait office de catalogue de l’exposition.
- Commissaire de l’exposition : Jean-Luc Godard - Nombre de salles : 4 - Prolongement : rétrospective en 140 films du 24 avril au 14 août
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Godard, l’éloge du rien
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 août, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tlj sauf mardi, 11h-21h, tél. 01 44 78 12 33. Cat. Jean-Luc Godard. Documents, éd. Centre Pompidou, 448 p., 370 ill., 49,90 euros. À lire : François Nemer, Godard (le cinéma), Gallimard, coll. « Découvertes », 160 p., 13,90 euros ; Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, coéd. Gallimard/Gaumont, 318 p., 45 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Godard, l’éloge du rien