La petite et érudite exposition du Louvre contentera davantage les spécialistes que le grand public.
PARIS - Trois trous béants surgissent des cimaises du Salon carré du Musée du Louvre. Les panneaux peints de Giotto conservés par l’institution parisienne ont migré vers d'autres espaces. Mais dans la salle de la Chapelle, où Giotto fait pour la première fois l’objet d’une exposition en France, les fresques que l’artiste a réalisées pour les murs de la basilique d’Assise, de la chapelle des Scrovegni à Padoue ou encore de l’église Santa Croce de Florence manquent évidemment à l’appel. « La majorité des œuvres de Giotto ne peuvent être déplacées, ce qui exclut l’idée même d’une rétrospective monographique », explique Dominique Thiébaut, conservatrice générale du département des Peintures du Louvre et spécialiste de la peinture italienne primitive. S’inspirant des petites et très scientifiques « expositions dossiers » créées au Louvre dans les années 1970, la commissaire est allée puiser dans les collections françaises – en butinant du côté des musées italiens et américains – pour concevoir l’exposition « Giotto e compagni », qui, au travers de trente peintures sur bois ou sur papier, déroule le parcours de Giotto et décortique le rôle de son atelier.
Le peintre et ses apôtres
Probablement formé chez Cimabue, le Florentin Giotto (1267-1337) a voyagé dans toute l’Italie dans une chronologie à manier au conditionnel, tant les archives sont lacunaires. Pour répondre à de nombreuses commandes de fresques, de retables monumentaux et de panneaux de dévotion privée émanant souvent de l’Église Franciscaine, il s’entoure dès 1290 d’un vaste atelier rempli d’assistants (compagni), chargés d’exécuter ses modèles, de copier ses dessins et de diffuser dans toute l’Italie la « révolution giottesque ». Approche sensible de la nature, expressivité des visages et espace tridimensionnel composent cette « marque Giotto », dont vient magistralement rendre compte la Stigmatisation de saint François du Louvre et qui sera reprise par les suiveurs tels le « Maître de Giovanni Barile » (Saint Louis de Toulouse, Musée Granet d’Aix), qui a contribué à l’éclosion d’un foyer pictural napolitain après un passage dans l’atelier du maître florentin.
Se passionnant pour la délicate question des attributions (l’artiste n’a signé que trois œuvres), l’exposition assume de présenter sous le nom de Giotto une grande partie des œuvres probablement réalisées par ses collaborateurs. « On ne peut pas parler d’une création autographe, née de l’esprit d’un assistant, dans le cadre d’un atelier médiéval », explique Dominique Thiébaut, montrant du doigt La Vierge à l’enfant de la National Gallery of Art de Washington, reconnue comme de seconde main « mais dont la paternité doit revenir au maître ». Tout comme le Saint Jean l’Évangéliste et le Saint Laurent de l’abbaye de Chaalis et le Saint Étienne du Museo Horne de Florence, qui faisaient probablement partie d’un même polyptyque. Une façon pour la commissaire de conforter Giotto dans le rôle de chef de file de toute la peinture italienne ; position ébranlée par des historiens de l’art qui ont, au cours de leurs « querelles de giottistes », contesté un large pan de la création de l’artiste, notamment une partie du cycle d’Assise. L’exposition sera « très utile pour les spécialistes », explique Dominique Thiébaut. Panneaux et cartels pour initiés, absence de contextualisation, évocation de trop nombreuses œuvres non exposées : le grand public n’est manifestement pas ciblé, malgré l’importante campagne d’affichage du Louvre. Et ce n’est pas le catalogue qui livrera les clefs de l’œuvre de Giotto à ceux qui ne sont pas déjà familiers de sa création.
Il est cependant impossible de bouder son plaisir devant le dessin de Deux hommes assis, tenant chacun une épée provenant des arts graphiques du Louvre ou de Dieu le père, panneau de bois de la Chapelle Scrovegni conservé au Musei Civici de Padoue, qui viennent rendre compte de la douceur solennelle des visages de Giotto et de la variété des supports sur laquelle la peinture du Trecento s’est déployée. De nombreux panneaux ont d’ailleurs été dépoussiérés et restaurés par les ateliers du Louvre et le Centre de recherche et de restauration des musées de France. C’est dans des habits neufs que les Giotto du Louvre réintégreront le Salon carré en juillet prochain.
Giotto - Dieu le père - bois, 150 x 97 x 3,4 cm, Musei civici, Padoue - © Musei Civici.
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Giotto pour les initiés
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire : Dominique Thiébaut, conservatrice générale au département des Peintures du Louvre
Nombre d’œuvres : 30
Jusqu’au 15 juillet, Musée du Louvre, Salle de la Chapelle, 75001 Paris, 01 40 20 50 50, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-18h, et le mercredi et le vendredi 9h-21h45, Catalogue Louvre éditions, 255 p., 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Giotto pour les initiés