Après Londres et Berlin, Paris accueille «Â Panorama », la rétrospective de l’un des plus fameux peintres allemands : Gerhard Richter, né en 1932 à Dresde, qui réaffirme la place de la peinture aujourd’hui.
Les photographies le montrent impeccablement mis, le col ajusté sans être amidonné, le vêtement gris sans être noir, la mine souriante sans être jamais rieuse. Élégant, Richter l’est. Avec sagesse, celle de ses quatre-vingts printemps et de ses quatre-vingts hivers, quand verdeur et froideur s’entremêlent et se confondent. Car Richter, c’est Bergman et Fellini réunis, c’est la glace et le feu, Vivaldi et Schubert, le brigand et l’avocat, le malade et l’apothicaire, Picasso et Matisse, Goya et Duchamp. Non pas la pondération. Mais la mesure, celle que l’on bat et que l’on donne, celle qui vaut à Piero et Cézanne d’être inégalés. Et à lui, Richter, d’être aujourd’hui inégalable.
L’exposition du Centre Pompidou déroule en dix sections et cent cinquante œuvres un « Panorama » – c’est son titre – du travail de Richter. L’admirable scénographie, épurée, élaborée avec l’artiste, permet de révéler une œuvre dont le caractère méthodique laisse à penser qu’elle est inéluctable. Figuration et abstraction deviennent deux sœurs incestueuses, le réalisme rétinien étant souvent contaminé, voire entravé, par un geste lyrique. Ainsi dans ses peintures abstraites des années 1980 et dans ses photographies peintes de la décennie suivante, où le visible semble devoir être toujours inquiété par le pictural (Juin, 1983).
Le poids de l’histoire
Un père et un oncle membres du parti national-socialiste, une tante schizophrène tuée au nom de l’eugénisme hitlérien. C’est peut-être là, du côté de cette enfance fragilisée, que Richter a laissé son rire et fixé ses souvenirs obsédants : une imagerie en noir et blanc (Tante Marianne, 1965), de vacillantes bougies (1982) et d’illusoires vanités (Crâne, 1983). Sont-ce ces heures troublées
et ces brumes de l’enfance qui condamnent toute peinture de Richter à être floue (Autoportrait, 1996) ? Peut-être. Car l’estompement des contours n’est ni une indétermination esthétique ni une maladresse plastique. Il est la forme inquiète du doute, la rencontre irrésolue de la mémoire et de la réalité. Et que rien ne peut dissiper. Un flou artistique et métaphysique.
Chinon
Le paysage est familier, presque banal. De ceux que l’on voit de la fenêtre d’un train ou d’une voiture, alors que le roulis de la vitesse interdit l’immobilité de la contemplation. Le flou n’est pas le contour de l’incertain, mais bien du connu, quand le pittoresque rejoint l’universel, quand le familier se dilue dans le merveilleux. Cette huile sur toile fut achetée en 1988 par le Centre Pompidou.
Autoportrait
Sur une vitre où il a plu, quand la présence est délavée par le temps et par l’incertain, quand l’évidence se trouble, ne reste que la survivance, que le halo du vestige. Ne s’incruste que l’essentiel, ce qui s’emporte dans les rêves et les souvenirs, ce qui hante. Une image aux contours troubles, une réalité impure, entre l’objectivité photographique et l’objection fantomatique. Un spectre obsédant, fût-il autoportrait.
Juin
Des couleurs comme vaporisées que sabrent des lignes pointues, des jaunes
solaires que contaminent des verts ardents. Ici, rien n’est acquis, l’ordre est précaire, fragilisé par l’estoc de la peinture. Ici, les couches se superposent, les gestes s’agrègent. Stratification à l’œuvre, de l’œuvre. L’hétérogène, méthodiquement, musicalement. Le pinceau, cet aérographe des certitudes, cette biffure sur l’ordinaire.
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Gerhard Richter - Immensément grand
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Abonnez-vous dès 1 €- « Gerhard Richter. Panorama », jusqu’au 24 septembre 2012. Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, Paris-4e. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h. Tarifs : 13 et 10”‰d ou 11 et 9”‰d selon périodes.
www.centrepompidou.fr
- « Gerhard Richter. Dessins sur papier », jusqu’au 17 septembre 2012. Musée du Louvre, Paris-1er. Ouvert tous les jours sauf
le mardi, de 9 h à 18 h. Nocturnes, mercredi et vendredi jusqu’à 21 h 45. www.louvre.fr
Richter sur iPad.
Une application est proposée à l’occasion de la rétrospective Richter au Centre Pompidou. Soixante œuvres présentées dans l’exposition sont disponibles sur la tablette d’Apple accompagnées de commentaires écrits. Cinq interviews de la commissaire, Camille Morineau, viennent compléter ce module de visite (au prix de 3,99”‰euros).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Gerhard Richter - Immensément grand