L’œuvre de ce rescapé de la Grande Guerre ne se réduit pas à son inspiration religieuse. La rétrospective que lui offre le Petit Palais entend surtout montrer son intérêt pour le corps.
PARIS - Georges Desvallières (1861-1950) est souvent décrit tel un fervent chrétien qui transcrit sa foi dans des tableaux, où il évoque les désastres de la guerre. Mais l’œuvre de l’artiste, ne se réduit pas à cette case religieuse. L’histoire retient qu’il fréquenta les symbolistes, les fauves, les cubistes, mais se garda d’appartenir à un quelconque mouvement, qu’il créa le Salon d’automne puis, décida, à son retour du front, de se consacrer à l’art sacré. Plus de cinquante années de carrière qu’Isabelle Collet, conservateur en chef au Petit Palais, a choisi de résumer en 90 œuvres présentées de façon chronologique, avec un parti pris : montrer l’omniprésence du corps dans l’œuvre de l’artiste.
Le parcours débute avec les autoportraits – celui au foulard rouge peint vers 1880, où il s’affirme avec les attributs du peintre – auxquels succède une enfilade de portraits de ses parents et ses amis qui seront exposés dès 1883 au Salon des artistes français. Se distingue ici celui de Georgina (1883), sa sœur cadette qu’il plante dans un décor boisé, plus proche des motifs impressionnistes que de ceux classiques de son mentor, Jules-Élie Delaunay, prix de Rome 1856, formé par Ingres.
De l’Antiquité aux cocottes
Peut-être influencé par sa rencontre avec Gustave Moreau, l’enseignement des Beaux-Arts de Paris ou ses nombreux voyages en Italie, Georges Desvallières puise aussi ses sujets dans l’Antique. Ganymède, Narcisse ou Amour côtoient les Joueurs de balles ou les Tireurs à l’arc, pastels aux tons mats habités de jeunes gens virils. Des nus à la musculature athlétique qui ont davantage l’air de refléter les poses des danseurs vus sur les scènes parisiennes – et l’admiration de l’artiste pour Rodin – que les élans de l’âme. En 1897, il peint L’Orgie, un tableau aujourd’hui conservé au Musée départemental de l’Oise, à Beauvais. L’alcool coule des amphores et les corps s’enchevêtrent dans une architecture gréco-romaine ordonnée par des colonnes rehaussées d’or. C’est l’Antique vue à travers la lorgnette du profane, une séquence décadente survolée par quelques colombes qui fuient ces bacchanales sans délivrer le moindre message. En tout cas, si message il y a, il se cache bien sous les pires aspects de la nature humaine. À l’époque, Georges Desvallières a pour ambition de moderniser la peinture classique.
Durant l’été 1903, il part à Londres et erre « dans les coins les moins sympathiques […] pour voir ces pauvres êtres qui peuplent les lieux », déclara-t-il plus tard lors de son entrée à l’Académie. Comme Toulouse-Lautrec ou Georges Rouault, il fréquente les bars des salles de spectacles ou les halls des grands hôtels et découvre le demi-monde et sa vie nocturne. Pour montrer ces dames au décolleté généreux, le parcours de l’exposition dévie vers une salle aux cimaises rouges (qui célèbrent les heures chaudes de la capitale britannique) comme s’il s’agissait d’un faux pas dans la vie de l’artiste. Cependant, cette courte étape se révèle essentielle dans l’œuvre de Desvallières : tel un illustrateur, il croque des saynètes aux couleurs lumineuses et aux traits esquissés pour mieux transcrire le mouvement. Le romantisme qui émanait du portrait de Georgina a laissé place au désenchantement. Desvallières se convertit au catholicisme. Désormais, il introduira des images du Christ dans des tableaux de la vie quotidienne.
La blessure de la guerre
Rescapé de la Grande Guerre, où il s’est engagé à l’âge de 53 ans, il ne créera plus que des tableaux religieux. Et s’il peint encore des corps, ils sont désormais suppliciés et martyrisés : une représentation qui ne fait pas l’unanimité. L’artiste doit affronter à la fois les catholiques conservateurs, qui n’apprécient pas ce renouveau de la peinture religieuse, et les artistes pacifistes qui, tels les dadaïstes, s’érigent contre les commémorations de la guerre. Pourtant, avec ces toiles au style expressionniste, Desvallières fait preuve d’une audace inouïe, comme lorsqu’il compare la mort du poilu étendu dans son uniforme sur un champ de bataille à celui du christ couronné d’épines sur sa croix (L’église douloureuse, 1926). Une démonstration quelque peu amoindrie par la vitrine aux souvenirs de la famille Desvallières dédiée aux bérets, képis et autres épées d’académicien de l’artiste.
Commissaire : Isabelle Collet, conservateur en chef du Petit Palais
Nombre d’œuvres : 90
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Georges Desvallières, religieux et laïc
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Georges Desvallières, religieux et laïc