Gauguin et Laval en Martinique

Là, s’offre à eux le spectacle d’un paradis tropical que Gauguin traduit dans ses toiles par une véritable ivresse de couleurs. À l’émerveillement ressenti devant une nature édénique, s’ajoute l’observation fascinée des indigènes : Gauguin se met à dessiner puis à peindre dans une vision fantasmée les activités des cueilleurs de fruits et des porteurs, donnant jour à une série de toiles délicates, remarquables surtout par leur palette subtile, leur composition soigneusement ordonnée de leurs figures empreintes de calme mystère. Sa touche est encore impressionniste, mais la dimension décorative et le primitivisme commencent à s’affirmer. Les dix-sept peintures produites durant ce séjour constituent une étape importante dans son développement stylistique. Elles établissent la première approche concrète de l’exotisme et du primitivisme dont la quête orientera toute la vie du peintre. Charles Laval réalise quant à lui une petite série de paysages chatoyants aux couleurs intenses. Il compose ses peintures selon des structures cadencées, dans une veine plus dynamique et une stylisation des figures plus avancée que celle de Gauguin. Laval rentrera des Antilles quelques mois après son illustre compagnon, Il en rapportera des toiles et des aquarelles qui fascineront Gauguin. Vincent et Théo Van Gogh seront les premiers à admirer les toiles martiniquaises et à en acquérir plusieurs, dont le paysage avec figures le plus ambitieux peint par Gauguin jusqu’alors, Mango Trees, Martinique, d’où la présence de ces œuvres dans la collection du Musée Van Gogh. Cette étape, déterminante pour les deux peintres néanmoins négligés par la fortune critique, fait l’objet pour la première fois d’une exposition sur ce thème. Quatre-vingt-une œuvres ont été rassemblées, dont des études préparatoires au pastel très abouties, des lettres et trois carnets de croquis dont les feuillets dispersés ont été réunis pour la circonstance. Une exposition à ne pas manquer pour toutes ces œuvres remarquables, malgré une muséographie lacunaire quant à la contextualisation des œuvres pour un public international et un éclairage déplorable.