Gaudier-Brzeska, aérolithe damné

Éteint sans satellite, mort sans successeur, avec une simple traînée de chefs-d’œuvre, il fut immédiatement considéré comme « irremplaçable » par Ezra Pound, son ami.

La vie, sa vie, elle, ressemble à une comptine cruelle. Pour avoir été très doué, Gaudier quitta adolescent Orléans pour gagner l’Angleterre et apprendre le métier. Pour avoir parlé anglais, il devint traducteur et rejoignit sa patrie. Pour avoir aimé, tant aimé, une femme de vingt ans son aînée – Sophie Brzeska –, il dut retraverser la Manche puis se cacher. Pour s’être caché, par amour d’une compagne et par haine de la guerre, il devint déserteur, à l’heure des obus. Pour s’être engagé, par amour de sa patrie, il reçut une balle dans la tête. Vingt-trois ans et dans le crâne un trou noir. 1915. Dans le nord de la France, l’Etoile polaire s’éteignait.

La Rochelle expose cinquante dessins, parmi les plus beaux, des quelque mille deux cents numéros conservés au Musée des beaux-arts d’Orléans. Feuilles vorticistes (Composition), croquis matissiens (Gamin à la casquette), virevoltes rodiniennes : Gaudier savait par cœur la licence de la forme et le pouvoir de la ligne, cette « infraction à la liberté ». Entre Dunikowski et Modigliani, Brancusi et Archipenko, ce météore oublié scintille de quelques feux, insensible aux lois puériles de l’attraction. Féerique.