Le Carré d’art à Nîmes revisite l’œuvre de l’artiste disparu en 1986 dans un parcours thématique inspiré par le peintre.
PARIS - « Peintre fol de peinture », ainsi se désigne Gérard Gasiorowski (1930-1986) dans une note sur l’une des quatre-vingt-quatre « planches » composées chacune de quatre peintures sur papier et qui constituent « Les Amalgames » (1971-1982). L’ensemble, présenté aujourd’hui au Carré d’art à Nîmes, avait été réuni pour la première fois lors de la rétrospective à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1983 intitulée… « Peinture ».
Assurément, son ancrage dans la peinture identifie l’œuvre. La « folie de peinture » est partout présente dans l’exposition « Recommencer. Commencer de nouveau la peinture ». Mais elle est présente de manière singulière, sous ce régime radical qui vaut à Gasiorowski de dépasser la peinture par la peinture elle-même. Sans jamais chercher à y échapper, à en faire le deuil ou à en éroder le crédit symbolique. À l’inverse d’une « théologie négative » de la peinture, qui, chez d’autres, convoque souvent son fantôme, sa mort, Gasiorowski s’inscrit délibérément dans une longue histoire de la peinture, depuis Lascaux jusqu’aux modernes, avec une forme de jubilation, d’excès, d’« hybris ». Il pratique une grève du zèle de la peinture, et l’exposition en rend compte justement.
Il y a pourtant du zèle partout : dans sa matérialité (jusqu’à toucher à une matériologie « painterly »), dans sa virtuosité (des morceaux de bravoure, de délicatesse, d’adresse, de séduction, sont concentrés dans tel ou tel moment du tableau, mais aussi leur double : la désinvolture, l’inachevé, le hâtif, le bâclé, le biffé, le recouvert). Il y a du zèle encore dans les formes de la production (grands formats, travail en série, tableautins, feuilles volantes, petits gâchis, objets familiers réinvestis…).
Ses langages formels lui valent de passer d’une attention à l’image (son moment dit « hyperréaliste », des années 1965-1970, avec leur noir et blanc photographique) à la quasi-monochromie – ainsi par l’agrandissement de « détail » d’un fond de tableau de Rembrandt en 1984.
Il passe encore du figural au gestuel : de la planche didactique au tableau de bataille, du motif abstrait (les « OIPAH HO » et les « OIPAH STRA », ainsi dénommés dans un jeu verbal d’une veine conceptuelle) au portrait, au paysage, à la nature morte. La nomenclature de régimes possibles est précisément envisagée dans son inépuisable extension.
Utopie concrète
Le zèle touche au carnavalesque quand il s’agit de jouer, par le contenu des tableaux comme par les dispositifs qui les lie (récits, personnages), sur les postures de l’artiste lui-même, en tant que figure, rôle, identité. Gasiorowski apparaît tantôt du côté du rapin, du clown, du montreur de marionnettes, tantôt sous ses identités et hétéronymes, au sein de fictions, de fables, de scénarios allégoriques, de micro-mythologies portatives. Il transparaît sous les figures de l’histoire et de l’histoire de l’art : ses autoportraits même, ici par leur facture, là par l’identification plus ou moins explicite (par le jeu de la signature par exemple), participent à ce « trop » de la peinture. La peinture est faite utopie concrète. Gasiorowski donne l’impression de n’en avoir jamais assez, en mettant en scène une dimension non pas d’impuissance ou d’inaccomplissement, mais de carnavalesque et de théâtre, entre farce et tragédie.
C’est cette figure irréductible que, à l’invitation de Françoise Cohen, directrice du Carré d’art, les deux commissaires, Éric Mangion, directeur du centre d’art à la Villa Arson, et Frédéric Bonnet, critique et collaborateur du Journal des Arts, ont entrepris d’exposer. L’œuvre est restée pour une partie importante dans les mains de ses galeristes, en particulier de Yoyo Maeght, qui assure sa succession avec enthousiasme et a prêté un grand nombre d’œuvres exposées. L’accrochage rend compte de son foisonnement non pas chronologiquement mais à travers un parcours rythmé par des chapitres dont l’artiste avait posé les principes, dans l’atelier. Ainsi réapparaît une œuvre hors temps et vive, qui ne s’est guère pliée aux contraintes du marché en son temps et demeure à reconsidérer, ce qu’accrochage et publication réussissent heureusement, comme une histoire à part qui n’a rien perdu de sa force de conviction, bien au-delà de son médium essentiel, la peinture.
GÉRARD GASIOROWSKI, Recommencer. commencer de nouveau la peinture, jusqu’au 19 septembre, Carré d’art-Musée d’art contemporain, 16, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Hatje/Kantz, 192 p., 35 euros, ISBN 978-3-7757-2670-2.
Commissaires : Frédéric Bonnet et Éric Mangion
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Gasiorowski en peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Gérard Gasiorowski, vers 1972-1975 - Photographe : Raymond de Seynes.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°326 du 28 mai 2010, avec le titre suivant : Gasiorowski en peinture