À travers une trentaine de pièces, la Kunsthaus de Zurich propose une importante rétrospective de l’œuvre de Duane Hanson (1925-1996). Le sculpteur passé maître dans la représentation de la réalité offre à travers sa galerie de portraits une vision désabusée de la société américaine.
ZURICH - En entrant dans les salles réservées à la partie la plus contemporaine de la collection de la Kunsthaus de Zurich, le visiteur découvre d’étranges personnages, accroupis, assis sur un banc ou tout simplement debout et figés. Christoph Becker, le commissaire de l’exposition “Duane Hanson” accueillie par la vénérable institution suisse, a en effet opté pour une présentation in situ des créations de l’artiste américain, au milieu de peintures d’artistes pop, et a ainsi tenté de provoquer chez le visiteur un troublant face-à-face. Même si certains personnages arborent des accessoires datés, il est en effet parfois difficile de distinguer la statue du visiteur lambda. Seule la présence d’un attribut qu’il ne nous viendrait pas à l’idée d’emporter pour aller visiter un musée permet parfois de faire le distinguo.
Né en 1925 aux États-Unis, Duane Hanson suit des études d’art dans son pays avant de venir enseigner en Allemagne, de 1953 à 1961, dans des lycées rattachés à l’armée américaine. C’est durant cette période, en 1959, qu’il fait une rencontre décisive en la personne du sculpteur allemand George Grygo, qui travaille la résine de polyester et la fibre de verre. Adoptant à son tour ses techniques, Hanson débute sa série de sculptures hyperréalistes en 1965 avec Abortion (“Avortement”). Cette œuvre exposée à Zurich montre le corps d’une femme enceinte recouverte d’un drap. Son travail s’oriente alors vers une représentation extrêmement violente de la réalité, que le sculpteur présente sans concession. La vision de Motorcycle Accident (“Accident de motocyclette”), pièce de 1967, avec son personnage étendu par terre à côté de sa machine, un filet de sang s’écoulant de ses lèvres, provoque en effet un certain malaise face à un voyeurisme imposé par l’artiste. En 1968, cette œuvre sera même retirée d’une exposition au Bicardi Museum de Miami après avoir provoqué un débat houleux. L’artiste offre à cette époque une critique particulièrement acerbe de la civilisation outre-Atlantique en présentant ce que la bonne société américaine pouvait justement qualifier d’accident : un policier tabassant un manifestant noir, des sans domiciles fixes étendus sur le sol et recouverts de crasse...
La force de l’œuvre de Duane Hanson réside justement dans sa faculté de jouer d’un réalisme parfait. L’artiste “habille” en effet ses sculptures de vêtements de prêt-à-porter et les affuble d’accessoires réels trouvés dans le commerce. Dès lors, toute une frange de l’Amérique middle-class est livrée au regard des visiteurs. Du policier à l’ouvrier en passant par le cow-boy, Hanson propose une galerie de portraits que ne renieraient pas les Village People. L’artiste ne va pourtant pas s’appesantir sur le cas des minorités, mais plutôt insister sur les désillusions des classes moyennes et basses pour lesquelles le rêve américain le restera à jamais. Regards dans le vague, détachés de leur travail ou de leur occupation souvent dérisoire du moment, les personnages d’Hanson ne respirent pas la joie de vivre, mais semblent tantôt déprimés tantôt perdus dans leurs pensées.
Pourtant, au cours de sa carrière, les représentations de l’artiste vont évoluer, devenant moins violentes avec le temps, faisant même écho, comme dans Chinese Student (“Étudiant chinois”) (1989) à des événements politiques. Certaines pièces, à l’image de Flea Market Lady (“Femme du marché aux puces”) (1990), se composent de multiples éléments et deviennent de véritables installations.
Œuvre à la fois en introversion et en révélation, le travail de Duane Hanson, malgré l’ancienneté de certaines pièces, continue à distiller sa puissance d’évocation. Dépassant le champ de l’art pour s’aventurer entre autres dans celui de la sociologie, l’artiste a conçu une œuvre complexe déjà entrée dans l’histoire.
Jusqu’au 13 juillet, Kunsthaus Zurich, Heimplatz 1, Zurich, Suisse, tél. 41 1 253 84 84, mardi-mercredi 10h-21h, vendredi-dimanche 10h-17h, fermé le lundi. Catalogue raisonné anglais-allemand, éd. Buchsteiner-Letze, Hatje Cantz Publishers, 192 p., 186 ill, 58.- CHF.
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Galerie de portraits
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Galerie de portraits