Le Palais Lumière expose Albert Besnard, peintre de la Belle Époque un peu oublié aujourd’hui. Une manifestation dont l’intérêt est autant sociologique qu’artistique.
ÉVIAN - L’opération de réhabilitation est exemplaire. Sous la houlette de l’inoxydable Pierre Rosenberg, président-directeur honoraire du Musée de Louvre, fut fondée en 2003 l’association « Le temps d’Albert Besnard », réunissant chercheurs et collectionneurs. C’est principalement à ceux-ci que l’on doit la rétrospective consacrée au peintre Albert Besnard (1849-1934) par le Palais Lumière à Évian (Haute-Savoie), montée en collaboration avec le Petit Palais à Paris. L’objectif est de « réexaminer aujourd’hui ce parcours artistique plus singulier qu’il en a l’air, de Rome jusqu’aux rives du Gange ». Le choix de la ville d’Évian s’explique par le fait que Besnard possédait une villa dans les environs, à côté de Talloires, et qu’il a réalisé une grande toile pour la source Cachat, restaurée et exposée ici.
Un premier constat : l’accrochage, réussi, permet une vision complète de l’œuvre de cet artiste. Sur les murs du Palais Lumière, ce parfait écrin pour une reconstitution de la Belle Époque, défilent les élégantes avec leurs toilettes somptueuses – séduction et nostalgie garanties. Non que les hommes soient absents ; le portrait de Camille Barrère (1906), ambassadeur de France à Rome, ou celui de Francis Magnard (1884), journaliste au Figaro, dégagent l’assurance que leur confère leur rang social. Des personnages respectables issus de l’univers auquel appartient également Albert Besnard, ce peintre vénérable de la IIIe république.
Mais les messieurs avec leurs habits noirs (ou gris) sont des sujets plutôt ternes qui rendent difficile, selon la formule du critique Camille Mauclair, une « interprétation décorative ». Le mot est lâché ; l’ensemble de l’œuvre de Besnard a pour trait commun la décoration. Dans tous les sens du terme, car une partie de la gloire de Besnard est attachée aux grands décors qu’il a réalisés : le plafond du salon des Sciences de l’Hôtel de Ville de Paris, le plafond de la Comédie-Française, une coupole du Petit Palais… Cette impressionnante liste de commandes donne la mesure de la notoriété dont jouissait Besnard, et explique aussi son éclipse après sa disparition. L’œuvre, en adéquation presque trop parfaite avec son époque, franchit difficilement les années et supporte mal l’évolution du goût.
Rien d’étonnant, car il est quasiment impossible de présenter un parcours plus formaté que celui de Besnard. Fils d’un peintre qui fut l’élève d’Ingres, Albert, lui, est admis dans l’atelier de Cabanel.
Comme il se doit, il est lauréat du prix de Rome, en 1874, et fréquente dans cette ville la haute société – ses futurs clients. Puis, après un passage à Paris, il part pour trois ans en Angleterre. Il y rencontre les préraphaélites et le peintre graveur Alphonse Legros. Dans ce pays où le portrait est le genre privilégié, Besnard a l’occasion d’admirer ceux de Joshua Reynolds et de Thomas Gainsborough, et cet artiste qui va pratiquer le portrait mondain toute sa vie retiendra la leçon.
Une représentation classique
À son retour en France, sa carrière décolle. Il a même droit à un scandale retentissant avec une toile exposée au Salon de 1886 qui représente Madame Roger Jourdain. Selon Octave Mirbeau, témoin de l’épisode : « La foule ricane […] on voit des ahurissements prodigieux figer dans l’immobilité les regards des jeunes visiteuses et des promeneurs élégants. » C’est peut-être une telle peinture qui rend problématique le titre de l’exposition : « Modernités Belle Époque ». De fait, le spectateur d’aujourd’hui peine à comprendre en quoi cette œuvre, réalisée une décennie après l’avènement des impressionnistes, a pu choquer. Si la lumière jaune qui éclaire le visage modifie légèrement la couleur de la chair, le rendu virtuose de la robe en satin, la pose du personnage, le traitement de l’espace, certes habiles, restent classiques. On peut penser que si ce tableau a choqué les contemporains de Besnard, c’est par l’écart qu’il a creusé avec les représentations du même type. En d’autres termes, cette œuvre est d’une modernité superficielle.
Mais Besnard a sa part d’ombre (pour employer le beau titre de Marianne Grivel dans un essai du catalogue) : la gravure. Avec ces eaux-fortes de petite dimension, se découvre un monde intime dans lequel la mort et l’angoisse rôdent. Deux Albert Besnard qui cohabitent ou une forme méconnue de schizophrénie artistique ?
Commissaires : William Saadé, conservateur en chef honoraire du patrimoine ; Marianne Grivel, professeure d’histoire de l’estampe et de la photographie à l’université Paris-Sorbonne ; Chantal Beauvalot, historienne de l’art
Nombre d’œuvres : 200
Itinérance : l’exposition sera présentée du 25 octobre 2016 au 29 janvier 2017 au Petit Palais à Paris.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Frou-frou à Évian
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 2 octobre, Palais Lumière, Rue de la Source-de-Clermont, 74500 Évian, tél. 04 50 83 15 90, du mardi au dimanche 10h-19h, lundi 14h-19h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Palais Lumière, Évian/Somogy Éditions d’art, 304 p, 39 €.
Légende Photo :
Albert Besnard, Madame Roger Jourdain, 1886, huile sur toile, 199 x 150,5 cm; Musée d'Orsay, Paris. © Photo : RMN/ Musée d'Orsay / Hervé Lewandowski.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Frou-frou à Évian