Le Guggenheim de Bilbao tente, sans grande conviction, de relier l’œuvre du peintre anglais avec les maîtres espagnols.
BILBAO - Cela devient une habitude. Pour justifier une exposition de plus sur une « valeur sûre » de la peinture, on lui donne un ancrage local. Après Bacon et la tradition française à Monaco, on a droit à Bacon entre Picasso et Velázquez à Bilbao. A priori, un prétexte valable, puisque l’on est en Espagne et que l’admiration de l’artiste irlandais pour ses pairs est bien connue. Le responsable de ces deux manifestations est Martin Harrison, grand spécialiste de Bacon, à qui l’on doit le récent et somptueux catalogue raisonné. Grâce à ses connaissances, plusieurs toiles du maître rarement exposées sont présentes ici – La Maison à Barbados, 1952, un paysage urbain de Bacon très inhabituel, ou l’étonnant Figures en Marche de la même année. On découvre aussi quelques œuvres d’avant les année 1940, une rareté, car selon Bacon, il les a pratiquement toutes détruites (Gouache, 1929 ; Peinture, 1930).
L’envers de la médaille est que l’on ne s’improvise pas commissaire. Déjà à Monaco, la logique de l’accrochage échappait aux spectateurs et l’alternance des zones éclairées et obscures introduisait une théâtralité imposante, quoique parfois excessive. À Bilbao, c’est le contraire, car malgré la puissance des toiles de Bacon, l’ensemble reste terne. Certes, le bâtiment de Frank Gehry, tout en étant un chef-d’œuvre architectural, n’est pas vraiment un lieu idéal pour montrer des œuvres picturales. La hauteur « cathédrale » des salles fait que les tableaux semblent un peu perdus sur les murs.
Des rapprochements peu convaincants
Toutefois, c’est surtout l’articulation entre les œuvres de Bacon et celles des autres artistes qui n’est pas convaincante. Ainsi, dans la section « Corps exposés », au nu classique qui inscrit le corps dans une certitude inébranlable, se substitue un être indéterminé, apparemment embarrassé par sa maladresse. Puis, au milieu de ces figures torturées, deux portraits relativement classiques, voire mondains – Mademoiselle Cicely Alexander (1872) de James Whistler et Portrait d’Ena Wertheimer : à pleines voiles ( 1905) de John Singer Sargent. Le même problème se pose dans le chapitre joliment intitulé, « Ensemble, mais isolés ». Ce titre évoque le désir de Bacon de regrouper plusieurs personnes, comme dans ses triptyques – ici Trois études de personnages couchés sur un lit (1972) – tout en évitant un aspect narratif. Mais on comprend mal la place qu’y tient la nature morte de Goya, même en jouant sur la métaphore (Dindon mort, 1808-1812).
D’autres salles, comme celle qui réunit des « portraits », visages brossés, griffés, rayés, balafrés de traînées blanches, sont plus cohérentes. Mais, peut-être l’ensemble le plus réussi est-il celui qui prend comme thème la cage, et dont le modèle est Portrait d’Innocent X de Velázquez, le tableau-fétiche de Bacon. Cette représentation hante et intimide l’artiste, au point qu’il refuse de voir l’original – ça tombe bien, car ce n’est malheureusement qu’une copie du XIXe siècle que propose Bilbao. Dans la version de Bacon, l’image du pape, cloué à son siège derrière un rideau de zébrures, la bouche béante laissant échapper un cri étouffé, garde toute sa puissance.
Commissaire : Martin Harrison
Nombre d’œuvres : 80
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Francis Bacon, l’Espagnol
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 8 janvier 2017, Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra 2, 48001 Bilbao (Espagne), tél : 00 34 944 35 90 08, www.guggenheim-bilbao.es, tlj sauf lundi 10h-20h, entrée 16 €. Catalogue 208 p., 30 €.
Légende Photo :
Francis Bacon, Composition (Figure), 1933, pastel, plume et encre sur papier marouflé sur carton, 53,5 x 40 cm, collection Abelló, Madrid. © The Estate of Francis Bacon.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : Francis Bacon, l’Espagnol