Mise en perspective

Francis Bacon en faiseur d’images

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 20 février 2004 - 657 mots

La Fondation Beyeler confronte les œuvres du peintre à celles d’artistes l’ayant inspiré, Vélasquez, mais aussi Titien, Rembrandt, Degas, Van Gogh ou Picasso.

BÂLE - « Vraiment, je me considère comme un faiseur d’images. L’image importe plus que la beauté de la peinture », déclarait Francis Bacon (1909-1992), propos repris dans le catalogue de la rétrospective qui lui était consacrée par le Centre Pompidou en 1996. Pour élaborer ces « images » si particulières, portraits angoissants ou corps déformés cloîtrés dans un espace circulaire, le peintre s’est régulièrement inspiré de reproductions d’œuvres d’art classique. Le plus célèbre exemple étant  illustré par ses deux séries entreprises dans les années 1950 à partir du portrait du Pape Innocent X (1650) de Vélasquez. Pour évoquer cet aspect fondamental de son travail, la Fondation Beyeler a choisi de confronter une quarantaine d’œuvres de Bacon à celles d’autres artistes et à des reproductions tirées de monographies ou de magazines. Un exercice que Bacon refusa de son vivant, puisqu’il alla même jusqu’à brûler les archives de son atelier que lui réclamait la Tate Gallery, à Londres… Outre de multiples déclinaisons du Portrait du pape Innocent X d’après Vélasquez, figurent ici : Étude pour le corps humain (1949), Étude pour la corrida (1969) ou Trois études de figures sur lits (1972), exposées aux côtés de toiles signées Vélasquez mais aussi Titien (pour sa judicieuse utilisation du voile dans le Portrait du cardinal Filippo Archinto, 1551-1552), Rembrandt (pour son art du portrait), Degas (son utilisation du pastel), Ingres (sa représentation du nu), Van Gogh (la force de sa palette), Picasso (ses transformations de la figure) ou Giacometti (l’aspect tridimensionnel de ses peintures). Le « faiseur d’images » a aussi largement puisé son inspiration dans des films, notamment Un chien andalou de Buñel et Dalí ou le Cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein, dont sont ici projetés des extraits. Délicatement éclairées, les pièces se détachent sur fond de cimaises mauves. Scindé en 16 parties, le parcours explore quelques-unes des thématiques récurrentes chez Bacon : la cage, le cri, le corps, portrait et autoportrait, le miroir et le reflet, l’ombre, le nu...

« Toucher directement le système nerveux »
Si le choix de certaines œuvres semble évident – Œdipe et le sphinx (1826-1827) d’Ingres, dont Bacon a directement tiré un tableau du même nom –, la présence d’autres toiles relève davantage du subjectif. Ainsi des portraits de l’Infante Margarita Teresa en robe bleue et de l’Infant Philippe Prosper de Vélasquez, qui illustrent de manière peut-être trop générale l’admiration que vouait Bacon au maître espagnol. « Il ne s’agit pas de faire l’inventaire de tous les artistes qui auraient marqué Bacon, mais de créer des corrélations, d’essayer de cerner sa vision du monde. Nous voulions simplement donner quelques clefs de lecture pour aborder son œuvre », précise Barbara Steffen, historienne de l’art et commissaire de l’exposition. L’intérêt de cette exposition réside aussi dans la présentation d’archives (livres, photographies et dessins) prêtés par la Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art de Dublin, où l’atelier londonien de Bacon a été reconstitué après sa mort. Ces documents permettent de mieux cerner les méthodes de travail de Bacon. Ce dernier faisait prendre de nombreuses photographies de ses amis avant de peindre leur portrait d’après ces clichés. Ainsi pour le  Triptyque – En mémoire de George Dyer (1971), exposé face aux instantanés de Dyer. Bacon associait aussi des membres de son entourage à des personnalités aperçues dans les médias. Dans les Trois études de tête humaine (1953), il reprend la photographie d’un homme politique publiée par le magazine Time qu’il intègre au portrait de Peter Lacy, son amant. Une technique particulière pour parvenir à ce que la peinture « touche directement le système nerveux ».

FRANCIS BACON ET LA TRADITION DE L’ART

Jusqu’au 20 juin, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen/Bâle (Suisse), tél. 41 61 645 97 00, www.beyeler.com, tlj 10h-18h et 20h le mercredi. Catalogue, éditions Skira, 398 p, 58 francs suisses (36,86 euros).

Bacon, de Bâle à Paris

L’œuvre de Francis Bacon fera également au printemps l’objet d’une exposition au Musée Maillol, à Paris, autour du thème « Le sacré et le profane ». À travers une quarantaine de toiles, le parcours analyse l’iconographie du peintre, qui a représenté de manière quasi obsessionnelle le motif de la crucifixion ou ses célèbres variations sur le portrait du Pape Innocent X de Vélasquez. Le commissariat est assuré par Michael Peppiatt, auteur de Francis Bacon, anatomie d’une énigme. - du 7 avril au 30 juin, tél. 01 42 22 59 58.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°187 du 20 février 2004, avec le titre suivant : Francis Bacon en faiseur d’images

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