Grâce à un ensemble d’œuvres exceptionnel et une scénographie sobre, le Städel Museum rend intelligemment compte d’un mouvement qui a longtemps été déconsidéré.
FRANCFORT-SUR-LE-MAIN - Pour voir actuellement le meilleur de l’art italien, c’est à Francfort, en Allemagne, qu’il faut aller. Le Städel Museum a réuni une quantité impressionnante de chefs-d’œuvre de la période maniériste, cette peinture troublante, née en Italie aux alentours de 1520 et qui se répand dans toute l’Europe jusqu’en 1620 – voir l’école de Fontainebleau en France. La collection exceptionnelle du musée, qui possède entre autres le fameux tableau de Bronzino, Le Portrait d’une dame en rouge (1533), lui permis d'obtenir des prêts du Metropolitan Museum of Art de New York, du Getty Museum, de la National Gallery of Art de Washington ou du Louvre.
Le terme de « maniérisme » fait son apparition vers la fin du XVIIIe siècle pour désigner le style qui règne en Italie depuis le sac de Rome (1527) jusqu’à l’avènement des frères Carrache. La disparition de toute forme de stabilité politique a sans doute formé l’arrière-plan de nouvelles tendances artistiques. Impossible, en effet, de comprendre le maniérisme sans le situer dans son contexte historique et esthétique, sans le mettre en rapport avec la Renaissance, considérée comme un zénith artistique inégalable. C’est à cause de cette comparaison que, pendant longtemps, le maniérisme a souffert d’une interprétation péjorative, car tout le séparait de l’idéal d’harmonie et de perfection atteint durant la haute Renaissance dans la représentation du corps humain et dans la maîtrise de l’art de la perspective. Il faut attendre le début du XXe siècle et son climat expressionniste pour que l’histoire de l’art prenne conscience de la modernité d’un mouvement qui n’est pas une antithèse du classicisme mais l’invention d’un langage d’une originalité étonnante. Ce n’est pas un simple hasard si cette « réhabilitation » coïncide avec l’avènement d’un art qui renonce à l’imitation et laisse une place importante à la subjectivité dans la création.
Les œuvres exposées à Francfort offrent une démonstration d’une clarté remarquable des caractéristiques du maniérisme et de sa capacité d’expérimentation. Comme l’indique le sous-titre de l’exposition, c’est à Florence, avec Pontormo, Bronzino ou Rosso Fiorentino, sous la protection des Médicis de retour d’exil en 1512, qu’il faut chercher les prémices de l’apparition de la « maniera », ainsi que la dénomme Giorgio Vasari. Face à deux représentations du Martyre des Dix Mille (Pontormo, 1523 ; Bronzino, 1530), le visiteur voit comment les artistes s’affranchissent de tous les principes de la « perspective légitime » pour créer un espace complexe, fantaisiste, où l’ambiguïté n’est jamais absente. Les personnages situés au premier plan – qui semblent s’échapper du cadre – ont une musculature poussée à l’outrance. Les gestes des personnages dispersés dans l’espace de la toile sont violents ; l’ensemble est éclaté, bien loin de l’organisation « pédagogique », soumise aux diktats du récit qui caractérisent le classicisme. En d’autres termes, le regard est attiré par les bizarreries et les extravagances du traitement comme par ses couleurs acides, au détriment de l’histoire, souvent obscure.
Personnages de pierre
Plus frappante encore est la représentation de la figure humaine, dont les proportions n’obéissent plus aux règles canoniques. Les corps s’allongent, la ligne du contour forme des figures serpentines où alternent les courbes et contre-courbes ; à la vérité anatomique se substitue une recherche formelle aboutissant à un raffinement extrême. Si l’on regrette l’absence de l’exemple le plus parfait de cette élégance qu’est la Madone au long cou (1534) du Parmesan, l’exposition nous offre une série de merveilleux dessins de Pontormo, des figures androgynes aux visages inquiétants, presque hallucinés (Étude pour un nu masculin, 1538). Ailleurs, ce sont les personnages figés et inexpressifs de Bronzino, comme métamorphosés en pierre dure (Portrait de Leonora de Tolède, 1539).
Un des mérites de la manifestation est de réhabiliter Rome comme l’un des foyers important du maniérisme, dont les acteurs sont le Parmesan, Polidoro da Caravaggio ou Perino del Vaga. De même, on y trouve des sculptures, une reconstitution du vestibule et de l’escalier de la bibliothèque Laurentienne de Michel-Ange et surtout de nombreux dessins qui permettent de suivre l’élaboration de certains travaux (Vasari, Étude pour une crucifixion, 1560). L’accrochage, simple et sobre, met en valeur l’éclat des œuvres. Parfois, la meilleure mise en scène est celle qui se met en retrait.
Commissaire : Bastian Eclercy, conservateur en chef des peintures italiennes, françaises et espagnoles avant 1800 au Städel Museum
Nombre d’œuvres : 120
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
À Francfort, l’art et la manière
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 juin, Städel Museum, Schaumainkai 63, Frankfurt-am-Main, tél. 49 60 50 98 170, www.staedelmuseum.de, mardi, mercredi, samedi, dimanche 10h-18 h, jeudi et vendredi 10h-21h, entrée 14 €. Catalogue, éd. Prestel, Munich, 304 p, 40 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : À Francfort, l’art et la manière