AVIGNON
L’artiste a placé en dialogue avec sa statuaire les œuvres, puisant elles-mêmes aux sources classiques, de Cy Twombly, Giulio Paolini et Louise Lawler issues de la Collection Lambert.
Avignon. L’exposition « Le Lacrime dei poeti » de Francesco Vezzoli présentée à la Collection Lambert emprunte son titre à un vers du poème épique « Les nouveaux anciens » de Kate Tempest. Selon la jeune poétesse anglaise, les dieux de l’Antiquité sont toujours en nous, les mythes toujours présents. Et selon Francesco Vezzoli ? C’est une autre histoire. « Il y a un an environ, il nous a fait part de son envie de travailler à partir d’artistes de la Collection, des contemporains ayant conservé un lien avec le passé », explique Stéphane Ibars, co-commissaire. Le choix de Cy Twombly et de Giulio Paolini, artistes tous deux nourris de culture classique, s’est imposé comme une évidence. Stéphane Ibars a suggéré le nom de Louise Lawler, dont la Collection Lambert possède justement un ensemble de photographies d’œuvres antiques entreposées dans leurs lieux de destination, musées ou collections privées.
Tout au long du parcours, la scénographie obéit aux mêmes règles : aux murs, les peintures, photographies et collages sélectionnés ; au milieu des salles, les œuvres de Vezzoli. Celles-ci déclinent le principe de réappropriation de l’histoire de l’art récurrent dans son travail. Il s’agit en l’occurrence de statues antiques légèrement transformées, maquillées ou associées à des pièces récentes. Quant à l’accrochage, il explicite la position de l’artiste, qui résume : « c’est moi au centre, regardant ces œuvres regardant l’Antiquité ».
Ce dialogue muet autorise certaines sculptures à tourner le dos au visiteur, dans une attitude de connivence non dénuée d’insolence. Le propos est souvent caustique, parfois facile, comme dans les confrontations anachroniques que Vezzoli provoque entre ses statuaires et la trivialité auxquelles il les soumet, à l’aide de touches de vernis à ongles, d’accessoires de mode ou de harnachements fétichistes (série « Antique Not Antique »).
Vezzoli profite de cette exposition pour aborder un scandale qui lui tient à cœur. C’est, rappelle-t-il, celui de l’ostracisme qui frappa Cy Twombly après son exposition à la galerie Leo Castelli de New York en 1964, devant un public américain infatué de pop art et de minimalisme. Dans ce contexte, les peintures de sa série « Commode », en référence à l’empereur romain, semblèrent alors complètement hors jeu. Éternelle question du contemporain en art. Rejeté par ses pairs, Twombly choisit à la suite de cette expérience traumatisante de s’installer en Italie. Dans l’entretien que reproduit le catalogue, Vezzoli revient sur cet épisode qui, dit-il, l’obsède : « ce moment où Twombly prend cette décision […] où il choisit de suivre son instinct, ses passions, ses travers ». Déclaration d’admiration ? Eternal Kiss (2015), duo de têtes romaines réunies dans l’attente réciproque d’un baiser qui viendrait sceller leur rapprochement incongru, est entouré par plusieurs tableaux de la série « Three Dialogues » (1977) de Cy Twombly, grands monochromes azur ou crème à peine griffonnés. Une impression idéale d’harmonie juste teintée d’ironie émane de l’ensemble. « C’est, reconnaît Vezzoli, ma salle préférée. »
Cependant la trajectoire de Twombly fait aussi écho à une autre affirmation : celle consistant à choisir « la vie plutôt que l’art ». C’est au nom de ce principe vital que Vezzoli veut rendre à ces statues surgies d’un autre âge, pupilles peintes et lèvres rosies, la puissance de leur regard, l’expression de leur sensualité ou de leur désir. C’est le refus de la muséification figée qui autorise tous les décalages, toiles biffées chez Cy Twombly, compositions de décombres chez Paolini (Hierapolis, 1982), cadrages et contrechamps de Louise Lawler questionnant la légitimité des collections.
L’humour, bien sûr, est de rigueur. Le Portrait of Kim Kardashian (Ante Litteram), 2018, associant une figure patricienne en marbre à un bronze obèse, est une forme d’oxymore prêtant à sourire. Mais surtout, n’est-il pas plaisant pour un artiste érudit de jouer les acheteurs en salle des ventes ? Puis de transformer ces pièces originales, au mépris de la législation italienne, et enfin de leur faire passer les frontières ? « Une véritable performance », s’amuse Vezzoli, qui ne manipule pas par hasard ces questions d’authenticité et de rareté. Il raconte : lorsque la statue en bronze du Pugiliste au repos, un des trésors des musées romains, a été exposée au Metropolitan Museum à New York, elle a attiré des centaines de milliers de visiteurs. En Italie, l’abondance de biens patrimoniaux est telle qu’on ne les voit plus. L’anecdote a une chute : « Pourtant, si le Qatar a le pétrole, nous avons la statue du pugiliste. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : Francesco Vezzoli regarde l’Antiquité