Chef de file du retour à la figuration avec la trans-avant-garde italienne, et starisé aux États-Unis dans les années 1980, Francesco Clemente bénéficie d’une rétrospective en Allemagne. Pour une peinture opulente et inspirée.
C'est une rétrospective en bonne et due forme que la Schirn Kunsthalle consacre à Francesco Clemente (Naples, 1952), foudroyante tête de gondole du retour à la figuration dans les années 1980. Quarante œuvres pour quarante ans de peinture, ou comment tester la résistance à l’histoire d’un artiste qui occupa un temps les galeries et le marché new-yorkais. La sélection resserrée joue la carte de la démonstration/énumération.
Des petits dessins secs et radicaux des débuts italiens aux récents monuments aquarellés, en passant par le bruyant épisode de la trans-avant-garde italienne, de Rome à New York via Madras, l’exposition dresse d’abord le portrait d’un nomadisme érigé en principe esthétique. En fil rouge : la conscience de soi, diluée, répétée, relayée, figurée jusqu’à plus soif, largement nourrie des aventures du peintre en Inde.
C’est que l’œuvre de Clemente s’adosse très tôt à d’autres territoires culturels que l’Italie. L’époque est au psychédélisme et aux expériences spirituelles et le jeune Napolitain est tout disposé à tourner le dos aux dogmes en cours, à commencer par ceux d’obédience conceptuelle. Il renoue avec la texture, la technique, le sujet omnipotent et fait de la répétition – ou du palimpseste, comme le suggère l’exposition – une rhétorique esthétique qui l’accompagnera toujours.
Artiste sans frontières
En 1973, c’est le premier choc indien. Suivront l’Afghanistan, traversé avec le compagnon et mentor Alighiero Boetti (1940-1994), et l’Inde encore, avec Madras, qu’il ne quittera plus. « L’Italie est devenue païenne, affirme Clemente. En Inde, je retrouve tout un panthéon de dieux. C’est comme si je revenais en arrière, vers la Rome antique, terre de mes ancêtres. » Aux premiers souvenirs d’enfance, aux autoportraits démembrés et aux croquis lapidaires s’ajoute bientôt une véritable encyclopédie de références et de manières instables, dans les pas errants du postmodernisme, versant nostalgique. Sans rien s’interdire. « Je suis un peintre de la « provincia dell’Impero » du troisième siècle. Là sont mes racines. Les livres que je lis sont L’Âne d’or d’Apulée et le Satiricon de Pétrone », concède-t-il un brin provocateur. « Je ne me réfère pas à une mythologie conventionnelle comme De Chirico se référait à la mythologie classique, explique-t-il dans une interview en 1988. Le tout est […] d’avoir foi dans la possibilité de la tradition artistique de donner une véracité à toute image que vous puissiez rencontrer. »
Au rayon références : Giotto, Raphaël, Kirchner, symboles hindouistes, idéogrammes primitifs, monstres baroques, abstraction tantrique et érotisme infernal. Clemente fait feu de tout mythe. Au rayon techniques : aquarelles diluées à grande eau, aérosol, huiles rapides, lents pastels, teintes livides, verts olive, roses pâles et coulures jaune vif maniés avec une adresse manuelle parfois un tantinet complaisante. Au rayon supports : toiles marouflées, toiles cirées, paravents, fresques, papiers apprêtés au gré des circonstances et des cultures rencontrées. Jusqu’à l’inclusion du folklore et de l’artisanat. Credo : la dialectique de la re-naissance relayée par une peinture toute-puissante, subjective et sensible. La toile prend en charge le regard, à l’heure où l’art affirme pourtant une œuvre ouverte qu’il revient au regardeur de compléter.
Le rêve américain des années 80
Si l’autoportrait demeure une constante – visage taillé à la serpe, bouche lippue, silhouette brisée –, les tensions brutales et heurtées des débuts semblent bientôt s’apaiser pour laisser place à une figuration plus organique et séduisante. Les formats s’agrandissent, gagnent les murs, l’architecture ou les pages des poètes.
Dans les années 1980, Clemente, qui bénéficie de l’engouement des États-Unis pour la trans-avant-garde, s’installe à New York. Dans le sillage de Basquiat, Warhol, Haring ou Schnabel, il conforte sa légitimité et se fait une place au soleil. On s’arrache sa figuration inquiète, ses chahuts de symboles intemporels et son érotisme halluciné. Tant et si bien qu’il résiste dans les années 1990 à la relative désaffection du mouvement dont il est issu. On le voit en thérapeute hypnotiseur au cinéma chez Gus Van Sant et, en vedette qu’il est, il portraiture à l’occasion Allen Ginsberg, Morton Feldman, mais aussi Gwyneth Paltrow, Robert de Niro ou Christy Turlington...
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Francesco Clemente - Le mythe de la création
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°636 du 1 juin 2011, avec le titre suivant : Francesco Clemente - Le mythe de la création