Pour fêter les vingt ans des FRAC (Fonds régionaux d’art contemporain), la délégation aux Arts plastiques/ministère de la Culture a conçu “Trésors publics”?, une exposition qui se déploie en une quinzaine de lieux dans quatre villes : Strasbourg, Nantes, Avignon et Arles. La manifestation, qui met en exergue la qualité de ces ensembles, est complétée dans les régions par de multiples événements organisés par les FRAC eux-mêmes et réunis sous le titre générique de “Détours de France”?. Un anniversaire qui aurait pu être plus percutant.
PARIS - Une exposition réunissant plus de mille œuvres, ce n’est pas banal. Tel est pourtant le projet colossal qu’ont mené à bien Bernard Blistène et Ami Barak pour célébrer les vingt ans des Fonds régionaux d’art contemporain. Les deux commissaires généraux, assistés de Pascale Cassagnau, Françoise Ducros, Xavier Franceschi, Michel Gauthier et Jean-Marc Prévost, ont en effet puisé dans les collections de ces institutions nées au début des années 1980 (lire le JdA n° 174, 26 juin 2003) pour proposer un vaste panorama de l’art de ces trente dernières années, “la plus grande exposition d’art contemporain jamais réalisée en France”, pour reprendre le slogan officiel. Outre l’aspect commémoratif, le propos consistait également à mettre en valeur des collections d’une incroyable richesse mais très décriées, tant par des politiques qui en mésestiment la valeur que par des professionnels qui en ignorent souvent le contenu. Bref, les FRAC suscitent beaucoup de fantasmes souvent nourris d’un tapis de contrevérités. Aussi, en poussant le raisonnement jusqu’au bout, à savoir montrer un “best of” des collections de FRAC pour que chacun puisse juger sur pièces, l’exposition aurait dû se dérouler en toute logique dans la capitale, pour faciliter son accès au plus grand nombre, et apporter la garantie d’un maximum de visiteurs.
Cependant, poursuivant la logique gouvernementale de la décentralisation, le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, a finalement choisi d’éclater la manifestation dans quatre villes du pays – Strasbourg, Nantes, Avignon, Arles – et une quinzaine de lieux pour, en quelque sorte, rendre à la province ce qui appartient à la province. L’idée partait d’un bon sentiment, mais elle a considérablement réduit l’impact de la manifestation. Combien de personnes pourront-elles visiter l’ensemble des expositions, qui pourtant forment un tout dans l’esprit des commissaires ? Les premiers chiffres de fréquentation disponibles ne sont pas très encourageants (lire l’encadré).
La qualité des propositions n’est pourtant pas en cause. Même si certains thèmes sont proches de ceux déjà retenus en 1995 pour une première série d’expositions des collections des FRAC (“Collections en mouvement”, lire le JdA n° 18, octobre 1995), “Trésors publics” propose en une quinzaine d’étapes un parcours de haut niveau à travers la création contemporaine. La plupart des grands mouvements qui ont marqué l’art de ces trente dernières années sont ici largement évoqués.
“Qualité musée”
À Strasbourg, dans le nouveau lieu d’exposition qu’est la villa Greiner, une ancienne maison bourgeoise, ont été réunis selon un accrochage irréprochable des artistes de l’intime, de la mémoire, mais aussi des tenants ou des héritiers de l’art corporel (Michel Journiac, Gina Pane, Orlan, Natacha Lesueur, Jean-Luc Verna...). Dans la même idée d’adapter le thème au lieu, l’ancienne salle de bal du Palais du Rhin, qui porte encore des stigmates de la dernière guerre, accueille un survol de la relation art-architecture. Au centre trône l’énorme Tour Eiffel de Chris Burden autour de laquelle tourne des paquebots (Another World, 1992), située non loin d’une maquette de bâtiment détruit, par Didier Marcel (Sans titre, architecture détruite, 1992). Sont également présents Yves Belorgey, Gordon Matta-Clark ou Matthieu Mercier. Dans la Krutenau, l’espace minimal de la Chaufferie, lieu d’exposition de l’école des arts décoratifs de Strasbourg, semble avoir été construit spécialement pour l’installation Disposition (1990) d’Absalon, dont les volumes blancs trouvent un heureux écho dans les photographies de Didier Vermeiren exposées sur la mezzanine. Une rue plus loin se dresse le bâtiment du Centre européen d’actions artistiques contemporaines (Ceaac), qui accueille l’une des expositions les plus convaincantes – tant par le choix des œuvres que par leur accrochage – de “Trésors publics”. Centrée sur le thème du paysage, la manifestation réunit un cercle de bois (1985) et un autre de pierre (1980) de Richard Long, mais aussi des pièces de Robert Smithson, Hamish Fulton, Peter Hutchinson, Dennis Oppenheim, James Turrell… Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg explore quant à lui à travers une importante exposition les relations entre l’art et le cinéma. En bonne place, Pierre Huyghe, Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foester sont présents avec plusieurs œuvres, dont deux épisodes d’Ann Lee. Anri Sala, Eija-Liisa Ahtila, Brice Dellsperger, Douglas Gordon proposent également des films et vidéos, tandis que d’autres artistes exposent peintures, photographies ou dessins directement inspirés du cinéma, à l’image des travaux de Cindy Bernard, Jean Le Gac, Cindy Sherman, Sam Samore, Jeff Wall ou Elise Tak.
À 800 km de Strasbourg, Nantes accueille la grande exposition de peinture de “Trésors publics”. Après avoir découvert dans les douves Lascaux III de Thomas Hirschhorn, et franchi une allée de bannières de Daniel Buren – qui a réalisé à Nantes une signalétique urbaine à l’occasion de ces “Vingt ans” –, le visiteur trouve sur trois niveaux un panorama de la création picturale – avant tout française et européenne – de ces trente dernières années. Sont réunis Jean-Pierre Bertrand, François Morellet, Vera Molnar, Martin Barré, Jean Degottex, Gerhard Richter, mais aussi Ugo Rondinone, Fabrice Hybert, Pascal Pinaud ou Luc Tuymans, dans un accrochage qui offre de belles séquences. En contrepoint, le Musée des beaux-arts se concentre sur la sculpture et l’objet. L’aula de l’institution réserve l’un des moments forts de “Trésors publics” avec la Ford T de Xavier Veilhan, la grande tasse à thé rose de Paul McCarthy, la caravane de Franck Scurti ou le Bibindum noir de Bruno Peinado... Au rez-de-chaussée, les collections du musée ont cédé la place à un parcours historique qui débute avec une Boîte en valise (1955-1968) de Duchamp, des œuvres de Beuys et d’artistes Fluxus comme George Brecht ou Robert Filliou. Un ensemble “qualité musée” ponctué par une importante installation de Jeff Koons (New Hoover Convertibles Green, Green, Red..., 1981-1987). Enfin, à Nantes toujours, si le Lieu Unique propose une programmation de films, la galerie de l’école régionale des beaux-arts est envahie par la structure gonflable de Peter Kogler ici associé à Franz West.
L’international, grand absent
Le contexte avignonnais est tout autre. Le titre de l’exposition du Palais des papes, “L’esprit des lieux”, rend d’ailleurs bien compte des difficultés à exposer l’art contemporain dans ce monument. Malgré la qualité indéniable des pièces – de l’abstraction de Soulages et Michaux jusqu’à Supports-Surfaces, l’Arte povera, les minimalistes et la peinture des années 1980 –, les œuvres sont tantôt perdues dans l’espace, tantôt écrasées par des cimaises trop présentes. Toujours à Avignon, tandis qu’Alain Séchas déploie les tentacules de sa pieuvre à l’hôtel de ville, Claude Lévêque montre un ensemble significatif de pièces à la chapelle Saint-Charles, un espace particulièrement bien adapté à ce travail puissant.
Dernière étape de ce tour de France, Arles est évidemment réservée à la photographie, “Rencontres” oblige. Dans la chapelle Sainte-Anne, Françoise Ducros a signé pour “Mimésis” une exposition érudite et grave qui retrace plus d’un siècle du médium, depuis des anonymes des années 1855 jusqu’aux années 1990, avec un éclairage important sur les années 1980. Enfin, les ateliers SNCF offrent une cerise sur ce gâteau d’anniversaire : dans la diagonale d’un ancien entrepôt, Xavier Veilhan a réalisé spécialement une grande cimaise de verre transparent sur laquelle prend place un choix pointu de photographies récentes opéré par Xavier Franceschi. Ce dispositif original permet à la fois un respect du lieu, une mise en valeur des œuvres et... de pouvoir examiner l’envers du décor !
Au terme d’un parcours de plusieurs centaines de kilomètres, le bilan de cet anniversaire est sans appel : les FRAC, en vingt ans d’existence, ont indéniablement réuni des collections de très haute qualité. On pourra toujours reprocher le choix de telle œuvre par rapport à telle autre, ou déplorer des “sur-représentations” et des absences. Mais le constat est là : avec les collections des FRAC, la France n’a pas à rougir face à ces voisins étrangers.
L’international est d’ailleurs le grand absent de ces vingt ans, malgré le programme “FRAC collections” de l’AFAA. Pour que la fête soit complète, peut-être aurait-il fallu dévoiler plus largement ces collections à l’étranger, et promouvoir les artistes français par la même occasion. Une mission que cinq FRAC (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté et Lorraine) ont prise à bras le corps et qui se concrétise ce mois-ci par une exposition à la Galerie d’art Zacheta de Varsovie. Un exemple à suivre...
Jusqu’à la mi-septembre ou la mi-octobre suivant les expositions. Divers lieux, Arles, Avignon, Nantes, Strasbourg, rens. www.les20ansdesfrac.culture.fr Pour accompagner l’exposition “Trésors publics”?, le ministère de la Culture coédite un ouvrage illustré de 464 pages. Outre des reproductions d’œuvres issues de collections de FRAC et la vingtaine de pages d’un entretien croisé entre les deux commissaires généraux de l’exposition, Bernard Blistène et Ami Barak, et la présidente de l’Association nationale des directeurs de FRAC, Katia Baudin, il est difficile de trouver mention des FRAC dans la quinzaine d’essais réunis dans ce livre. Aussi passionnants soient-ils (ce qui est malheureusement loin d’être toujours le cas), ces textes cherchent plutôt à dresser des bilans – personnels – de vingt ans de création contemporaine dans le monde. Les visiteurs qui cherchent davantage d’informations sur les FRAC ou une analyse de leurs collections en seront pour leur argent. Tout juste pourront-ils consulter un CD-Rom compilant un nombre important d’œuvres mais dont l’ergonomie est digne de l’âge de pierre. Une occasion manquée. - Trésors publics, coll., 464 p., 38 euros. ISBN 2080112422
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FRAC : un tour de France pour juger sur pièces
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : FRAC : un tour de France pour juger sur pièces