Intitulé « Pop et musique », le troisième volet de l’accrochage inaugural de la collection de la Fondation Louis Vuitton est, à ce jour, le plus abouti. Témoignant d’un apprivoisement des lieux, la présentation fait la part belle aux héritiers du pop art et à leurs interprétations des dérives de la société de consommation. Le volet musique, lui, gagnera en ampleur au cours de l'été.
PARIS - Une certaine lassitude pointait à l’idée d’aller assister à la troisième salve d’accrochage de la collection de la Fondation Louis Vuitton, à Paris. Non que ce qu’il ait été donné d’y voir auparavant ait déçu, mais plutôt à cause de l’effet « rouleau compresseur de communication » mis en branle par l’institution présidée par Bernard Arnault. Avec cette nouvelle vague « Pop et Musique », c’est le quatrième événement d’importance en sept mois – ce qui est beaucoup et constitue une manière parfaitement habile d’occuper le calendrier autant que le terrain médiatique. Ne survient pourtant aucune lassitude une fois entré dans les salles de Frank Gehry, tant cette nouvelle proposition s’impose certainement comme la plus réussie des trois présentations, comme si elle paraissait plus mature, plus précisément accrochée, plus à l’aise dans ses murs.
Suzanne Pagé, la directrice artistique de la Fondation, et ses équipes ont sans doute mis à profit leurs premières expériences afin de se familiariser davantage avec des lieux pas forcément aisés à habiter et de se les approprier ; ce qui se ressent. Surtout, alors que l’accrochage précédent était consacré à deux des quatre axes tracés dans cet ensemble, l’expressionnisme et la contemplation, c’est finalement dans cette lecture qui fait la part belle aux héritages du pop art, à ses lointaines interprétations pointant qui les dérives de la consommation, qui celles de la communication, entre autres, que le visiteur trouvera finalement le plus d’humain et de tensions.
Ainsi l’un des couloirs est-il occupé par cinq clichés de la série des Blue Cowboys (1994, 1999) de Richard Prince, issus des publicités Marlboro qui, au-delà des clichés, sentent fort la nostalgie et la conscience de la fin d’un âge d’or. L’une des œuvres à la fois lucide et ironique, mais parfaitement vue, est aussi le fait de l’artiste le plus jeune : véritable clip « corporate », la vidéo La valeur du produit (2013) de Mohamed Bourouissa singe un stage de formation, où le produit auquel les candidats sont conviés à se familiariser aux techniques de vente est… de la drogue.
Subtils face-à-face
Déjà présent lors de la salve inaugurale, Bertrand Lavier, est de nouveau convié avec une petite salle pour lui tout seul renfermant quatre œuvres desquelles se détache un panneau récent, énième mais toujours rafraîchissant avatar de ses Walt Disney Productions. Lui fait face une de ses célèbres superpositions, ici le fameux canapé rouge en formes de lèvres inspiré à Salvador Dali par l’actrice Mae West, posé sur un gros congélateur blanc (Bocca/Zanker, 2005). Adepte des pieds-de-nez, sans doute l’artiste voit-il, non sans sourire lui aussi, qu’une pièce strictement identique et de la même année est actuellement exposée à la Punta della Dogana, à Venise, sans toutefois appartenir à François Pinault ; seule y change la marque du congélateur !
Très bien vues sont également quelques confrontations, comme celle opérée entre Michel Majerus et Jean-Michel Basquiat, avec des travaux assemblés et métissés portés par des esthétiques et des préoccupations certes différentes, mais où domine l’hybridation. Ou encore Gilbert & George face à Allora & Calzadilla, lorsqu’un somptueux triptyque des premiers plongé dans un univers ouvrier très sombre dialogue avec des travaux évoquant des terrains de lutte. La thématique relative à la musique laissera cependant un peu sur sa faim, n’étant que partiellement dévoilée. Là aussi il y est question d’une certaine aridité, voire de violence. Comme avec Ziad Antar faisant jouer par une pianiste la martiale Marche turque de Mozart en ayant bridé l’instrument, ce qui ne permet plus d’entendre que le son brutal des mains frappant les touches (Marche turque, 2006). Ou encore, chef-d’œuvre, le Crossfire (2007) de Christian Marclay, quadruple projection immersive où ne sont données à voir que des armes à feu dont les sons deviennent comme des percussions.
Elle sera complétée à partir du 25 juillet, dans les espaces actuellement occupés par l’exposition « Les Clefs d’une passion », par des œuvres notamment de Rineke Dijkstra, Mark Leckey ou Philippe Parreno : une manière sans doute d’occuper encore un peu le calendrier et le terrain médiatique…
Commissariat : Suzanne Pagé
Nombre d’artistes : 28
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Fondation Vuitton, troisième accrochage
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’en octobre, Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris, tél. 01 40 69 96 00, www.fondationlouisvuitton.fr, tlj sauf mardi 11h-20h, vendredi 11h-23h, samedi-dimanche 10h-20h, entrée 14 €.
Légende Photo :
Gilbert & George, Class War, Militant, Gateway, 1986, triptyque, 2 x (363 x 758) ; 363 x 1010 cm. © Gilbert & George, courtesy Jay Joplin, White Cube Gallery, Londres.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Fondation Vuitton, troisième accrochage