Le Havre

Feininger en noir et blanc

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 19 mai 2015 - 723 mots

En ne présentant que son œuvre gravé, le MuMa ne permet pas de saisir la complexité de l’artiste germano-américain peu connu en France.

LE HAVRE - C’est tout à l’honneur du Musée Malraux du Havre de présenter Lyonel Feininger. De fait, depuis 1994, date de sa première exposition au Musée de la Seita à Paris, l’œuvre de cet artiste était pratiquement absente en France. Pourtant, né en 1871, souvent affilié à l’expressionnisme, enseignant au Bauhaus, il fait partie des acteurs principaux de la modernité.

Le trajet de Feininger est loin d’être commun. Né aux États-Unis (1871) dans une famille allemande, il arrive en Europe en 1877 pour y étudier la musique mais finit par se faire admettre à l’École des arts et métiers à Hambourg, puis à l’Académie de Berlin. Pendant des années, son activité principale est celle de caricaturiste dans différentes revues satiriques berlinoises. Son succès, qui eut du retentissement jusqu’en Amérique, (il obtient un contrat pour deux bandes dessinées avec le Chicago Sunday Tribune) a fait de lui un des dessinateurs les plus importants en Allemagne. Il est d’ailleurs probable que sa renommée artistique tardive a pendant longtemps souffert de son assimilation à un illustrateur. Mais, en même temps, c’est à l’aide de ces dessins satiriques rapides qu’il acquiert une forme d’économie picturale et une capacité humoristique qui restent intactes dans toute son œuvre.

Le déclicdu cubisme
C’est à Paris où il séjourne fréquemment que Feininger retrouve sa vocation de peintre. Ainsi, en 1906, après être entré en contact avec le cercle des élèves de Matisse, il donne à ses tableaux des accents fauves. C’est surtout la rencontre avec le cubisme qui va être déterminante pour son style. « C’est cette expérience qui l’a conduit directement au style caractéristique “prismatique” d’intersection de plans transparents restituant principalement l’architecture, comme les scènes avec figures et bords de mer », écrit le commissaire David Butcher. 

Feininger choisit comme motif privilégié la ville, avec ses édifices aux angles saillants où les personnages de plus en plus stylisés se dissolvent. Sous l’influence de Delaunay et ses tours Eiffel, les bâtiments sont rendus par des facettes sur lesquelles les flots de lumière venant de différentes directions dessinent des reflets lumineux atmosphériques. La structure cristalline de ses tableaux lui permet d’atteindre une synthèse du rythme, de la forme, de la perspective et de la couleur. De retour en Allemagne, il fait la connaissance du groupe expressionniste Die Brücke (Le Pont). À l’instar de ses membres, Feininger peint de nombreux paysages, essentiellement dans sa région, le Thuringe. De même, il s’intéresse à la gravure sur bois, pratique qui se rattache à une tradition médiévale nationale. Cependant, à la différence de Schmidt-Rottluff ou Heckel, la figure humaine et surtout le nu sont bannis de ces toiles. Ses visions de la nature et des villages, aux allures de contes de fées, semblent totalement desérotisés.

Graveur au Bauhaus

Puis, Feininger devient enseignant au Bauhaus, l’école allemande de la modernité. Pour illustrer le manifeste de cet établissement, l’artiste réalise une gravure d’une cathédrale traversée par des rayons de lumière. Ce « logo », exposé au Havre, devient une des images iconiques du XXe siècle. Feininger, nommé maître de l’atelier graphique, développe ainsi une activité intense de graveur. Ce sont ces œuvres qui sont au cœur de l’exposition du Havre. En considérant sa production picturale, sa capacité à passer d’une technique à l’autre et obtenir des résultats proches est frappante. Le problème, toutefois, est l’absence quasi totale de sa peinture au Havre. L’explication est simple : l’ensemble des travaux ici vient d’une collection particulière, composée essentiellement de gravures en noir et blanc (des aquarelles, des dessins et quatre toiles dont la très belle Flotte de guerre, 1920). La technique de Feininger qui consiste à effacer et à repasser plusieurs fois la couleur confère même aux édifices massifs une légèreté et une transparence, aux accents féériques. L’absence d’œuvres qui auraient pu montrer toute cette richesse chromatique est regrettable. La fin du parcours présente des œuvres exécutées aux États-Unis – il quitte l’Allemagne en 1937 –, dont les dessins préparatoires pour une peinture murale faite pour l’Exposition universelle de 1937 à New York. Ces dessins et aquarelles ne diffèrent pas de ceux réalisés en Europe, comme si Feininger avait trouvé son univers qu’il transporte avec lui.

LYONEL FEININGER

Commissaires : David Butcher et Annette Haudiquet
Œuvres : 137

LYONEL FEININGER

Jusqu’au 31 août, Musée d’art moderne André Malraux, 2 boulevard Clemenceau, 76600, Le Havre, tél 02 35 19 62 77, www.muma-lehavre.fr tlj sauf mardi 11-18h, samedi et dimanche 11h-19h, entrée 5 €,. Catalogue éd. Somogy/MuMa, 184 p, 32 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Feininger en noir et blanc

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