musée

Fantaisies baroques à Marseille

Par Adrien Goetz · L'ŒIL

Le 1 décembre 2000 - 534 mots

L’exposition, qui a triomphé à Turin, à Washington et à Montréal (L’Œil n°513), ouvre ses portes dans le cadre baroque de la Vieille Charité de Marseille. Parcours baroque en effet, pour ces maquettes et dessins d’architecture, exposés d’abord au pavillon de chasse de Stupinigi, le Versailles des princes de la maison de Savoie aux environs de Turin, avant de rallier le nouveau monde (le fonds du Centre canadien d’Architecture a fourni une part importante des œuvres présentées), pour retrouver à Marseille un cadre d’époque. Paris, qui devait accueillir l’exposition pour la réouverture du Musée des Monuments français, a été en quelque sorte contourné. Il est vrai que le grand musée du Palais de Chaillot, sinistré, n’a pas encore rouvert ses portes. Trajet en volutes donc, courbes et contre-courbes, parti d’un palais de campagne consacré à la fête pour aboutir dans un édifice religieux. En visitant l’exposition, à Marseille, on comprend que l’histoire de l’architecture baroque a suivi une route inverse. La série d’inventions nouvelles, de formules architecturales conçues pour la plus grande gloire de Dieu et le triomphe de la Contre-Réforme, adaptées, diffusées, servent à bâtir de nouveaux palais de fantaisie, des fabriques dans les jardins, les constructions éphémères des célébrations municipales de toute l’Europe. Durant ce siècle baroque (les limites de l’exposition sont larges, 1600-1750), le mouvement qui, au contraire du néoclassicisme, n’eut pas de théoricien et ne se définit pas ouvertement comme un style, s’infléchit vers le rococo. L’originalité de cette exposition est de ne pas être un cours d’architecture. Les maquettes extraordinaires qui ponctuent le circuit du visiteur n’ont pas été fabriquées pour illustrer les grands chapitres des manuels. Toutes datent de l’époque même, elles sont des rescapées, fragiles monuments de bois et de colle, d’essences éphémères, conservées par miracle et minutieusement restaurées. Il ne s’agit donc pas des grandes églises de Rome ou des réalisations les plus connues du Bernin, Juvarra ou Borromini. Au contraire, ces maquettes montrent souvent des projets abandonnés, excessifs, trop complexes, des réalisations secondaires, autels pour des chapelles privées, jardins en terrasses, monuments disparus avant d’avoir pu exister. On se trouve d’un coup au-delà du baroque, dans les rêves des architectes et certains de ces rêves, à coup de colonnades et de frontons, inventent le classicisme à la villa Pisani de Stra (la maquette se trouve à Venise) ou au Kremlin avec le somptueux projet de Vassili Ivanovitch Bajenov. Dans la pénombre de la Vieille Charité, sur des fonds sombres parfaitement élégants, ces maquettes surgissent des marges de l’histoire de l’art. Elles racontent, hors des chemins balisés par la pédagogie, une histoire inconnue jusqu’ici, celle d’un art en train de s’inventer par tâtonnements successifs, par superpositions de plans, d’élévations, de relevés. L’exposition « Triomphes du Baroque » est donc une réussite absolue, stimulante de bout en bout, suscitant chez le visiteur l’émerveillement et la surprise. Des tableaux de Bernardo Bellotto, des vues imaginaires de Jacques de Lajoüe, de William Marlow ou d’Hubert Robert accompagnent les maquettes et les dessins. Ils complètent cette percée unique dans l’imaginaire des architectes de l’époque baroque.

MARSEILLE, Vieille Charité, jusqu’au 4 mars. À lire : Triomphes du Baroque, éd. Hazan, 560 p., 395 F, et notre hors-série, 20 p., 30 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°522 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Fantaisies baroques à Marseille

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