Art contemporain

EXPOLOGIE

Faits divers, le Mac Val trouble les visiteurs

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 731 mots

Riche et intéressante, l’exposition du Musée du Val-de-Marne sur ce thème inhabituel aurait gagné à une meilleure organisation spatiale.

Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). « La plupart des études qui font autorité sur le fait divers ont donné assez peu de place à l’image et à la culture visuelle. Cela est d’autant plus surprenant que le fait divers doit une grande partie de sa fortune à la pulsion scopique, pour ne pas dire voyeuriste qu’il aiguillonne », constate Nicolas Surlapierre. Pourtant les artistes s’en inspirent autant que les écrivains ou les cinéastes, compte tenu de son fort potentiel dramatique, romanesque, révélateur ou critique. Les expositions sous l’angle de la production artistique qu’il génère n’ont elles-mêmes jusqu’à présent abordé le sujet que sous l’angle de quelques-uns de ses aspects.

Aussi le panorama qu’en dresse le directeur du Mac Val sur la période contemporaine, des années 1960 à nos jours, s’avère-t-il inédit et passionnant tant par la pluralité des approches, des supports, des formes et des propos des œuvres des 80 artistes réunis que par le champ large des événements couverts : crime, accident, braquage, vol, kidnapping, suicide, incendie, féminicide, disparition…

Pour ce faire, Nicolas Surlapierre avec Vincent Lavoie, historien de l’art et professeur titulaire à l’université du Québec à Montréal, a établi un champ lexical à partir d’un abécédaire construit en référence au Dictionnaire amoureux des faits divers de Didier Decoin (Éditions Plon, 2022) et à l’essai critique Structure du fait divers de Roland Barthes (Seuil, 1964). Le commissaire a organisé la scénographie autour d’une sélection de termes : « assassinat », « brûlé », « crash », « disparition », « enquête », « indice »…, puis choisi, à l’intérieur de chacun d’entre eux, trois à quatre artistes.

Ce principe scénographique fonctionne plutôt bien, car les œuvres s’accordent au terme retenu tels pour celui d’« indice », la reproduction d’empreinte digitale de Bob Watts, celle à la gouache sur carton d’André Raffray et l’impressionnante huile sur toile d’Eduardo Arroyo, Heureux qui comme Ulysse (voir ill.), relative à la découverte par un homme d’un triple assassinat dans un appartement dévasté. Et leur mise en regard dialogue au mieux avec les gravures de Sylvain Fraysse de la série « Rust Never Sleeps », issues des images de l’appartement du musicien Kurt Cobain après son suicide, extraites du rapport de police.

Une scénographie déstabilisante

Mais la présentation des œuvres dans l’open space désarçonne, particulièrement au début, car le regard interpellé par ce qu’il voit, et entrevoit en arrière-plan, ne sait pas par où commencer sa lecture. La structuration en cinq sections dénommées « Équations à une inconnue», « Équations à deux inconnues »…, comprenant chacune cinq ou six termes du champ lexical retenu, peut elle-même ne pas apparaître claire tant nombre d’œuvres peuvent appartenir à tel ou tel aspect du fait divers comme le court métrage de Nina Laisné reconstituant le procès de l’horloger Karl Wilhelm Naundorff prétendant être Louis XVII, relatif au thème de l’usurpation mais qui pourrait être aussi placé dans celui de l’« univers judiciaire » ou de la « reconstitution », abordé dans la première partie.

Le catalogue est bien plus clair en la matière. « Cette déstabilisation, incertitude, ces porosités et ces questionnements, je les ai voulus, explique Nicolas Surlapierre, afin de placer le visiteur lui-même dans sa propre enquête sur les tenants et les aboutissants du fait divers avec l’ombre du doute en conclusion. » Un plan de l’exposition aurait facilité néanmoins la visite surtout pour la première section, « Équations à une inconnue. Au nom de la loi », partagée entre le rez-de-chaussée et l’étage, ce dernier obligeant à revenir sur ses pas sans savoir, après être revenu au rez-de-chaussée, où poursuivre sa lecture, le panneau de la deuxième section se trouvant à l’arrière d’une cimaise.

Le visiteur peut bien sûr faire fi du découpage et se laisser porter par les œuvres et ce qu’elles racontent. Ainsi Le film d’animation Family de Marko Mäetamm relatant l’assassinat à la hache d’un homme de sa femme et de ses enfants, ou le film d’Ana Maria Gomes, À trois tu meurs, sur des adolescents simulant leur propre mort, sont particulièrement marquants, éprouvants dans ce registre mais puissant dans leur propos à l’instar de l’humour noir qui rappelle régulièrement sa capacité à jouer sur le registre du tragique et de l’absurde. Tels la lettre « Mes Chéris » d’Éric Pougeau laissée par une mère à ses enfants ou les dessins d’Alain Séchas relatant un suicide d’un homme armé se jetant d’un haut d’un immeuble et tuant pendant sa chute, étage par étage, tous les résidents.

Faits divers. Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse,
jusqu’au 13 avril 2025, Mac Val, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, place de la Libération, 94400 Vitry-sur-Seine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Faits divers, le Mac Val trouble les visiteurs

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