À Montmartre, cette exposition d’Art brut, qui orchestre la rencontre des amis artistes de Bourbonnais, plonge le visiteur « au pays des merveilles ».
Décidément, La Fabuloserie n’en finit pas d’affabuler pour réenchanter le monde. Pour ses 40 ans, la collection rassemblée par Alain et Caroline Bourbonnais, aujourd’hui gérée par leurs filles Agnès et Sophie, déploie ses fables de coquillages, de morceaux de bois, de broderies, de pastels gras et autres chiffons merveilleux à la Halle Saint-Pierre, au pied de la butte Montmartre. Et c’est fabuleux.
Au fil des œuvres, se dessine en filigrane cette folle aventure commencée en 1971, quand Jean Dubuffet annonce par voie de presse la donation de sa collection d’Art brut – cet art des fous, des illuminés, de ceux que les gens bien comme il faut tiennent pour des ratés – à la Ville de Lausanne. Alain Bourbonnais, architecte amoureux des arts populaires et de ces créateurs qui sortent des sentiers battus, lui écrit aussitôt. C’est le début de leur amitié. Dès l’année suivante, avec le soutien de Dubuffet qui lui donne une liste des artistes de sa collection, Alain Bourbonnais ouvre un lieu à Paris, l’Atelier Jacob, pour montrer les productions de ces « hommes du commun » qui n’intéressent pas encore les musées et avec lesquels il tisse des liens d’amitié.
En 1983, le public découvre « La Fabuloserie », une « maison-musée » abritant des centaines de créations, au jardin peuplé de folles sculptures… À la Halle Saint-Pierre, qui avait déjà exposé les merveilles glanées par les Bourbonnais il y a trois décennies, pas question de présenter un sage résumé de la collection. À travers une sélection de pièces qui célèbrent la force de l’imaginaire – certaines inédites et entrées récemment dans la collection pour surprendre aussi les connaisseurs –, on part à la rencontre des amis artistes des Bourbonnais, comme si l’on était transformé en une « Alice aux pays des merveilles » : on devient petit comme un enfant et on entre au rez-de-chaussée comme dans un mystérieux antre noir pour terminer ce parcours à l’étage, la tête dans les nuages.
Chemin faisant, on écarquille les yeux devant la féérique salle à manger créée par un grand-père italien, Giovanni Podesta, ou devant un Palais des mille et une nuits construit avec des milliers de coquillages peints au vernis à ongles composé par un chauffeur de taxi rêveur, Paul Amar. On rit et on applaudit les poétiques articles de bois à manivelle et mécanismes sonores d’un cultivateur, Émile Ratier, ou les petits théâtres animés d’un receveur de bus parisien retraité à Menton… On pleure, aussi, avec les « Mauricettes », ces étranges poupées créées par un instituteur, Francis Marshall, pour dire la violence, l’alcoolisme, la pauvreté auxquels sont confrontés les enfants des campagnes normandes dans les années 1970. Et, face aux délicates silhouettes à l’encre de Chine cousues de fil d’argent de Michèle Burles, qui fut mime, on apprend quelque chose de ce langage « des fleurs et des choses muettes » connu des seuls poètes… À la fin du parcours, on a le sentiment extatique d’être passé au tamis d’une machine à réenchanter le monde – est-ce cela, une « fabuloserie » ?
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Fabuleuse Fabuloserie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : Fabuleuse Fabuloserie