À travers une centaine d’œuvres de Fragonard et de Boucher, mais aussi de François André Vincent, Gabriel François Doyen ou Noël Hallé, le Musée des beaux-arts de Strasbourg dresse un panorama de l’esquisse peinte en France au XVIIIe siècle. Le sujet, pertinemment mis en scène, n’avait jamais fait l’objet d’une exposition à part entière.
STRASBOURG - “Les esquisses ont communément un feu que le tableau n’a pas. C’est le moment de chaleur de l’artiste, la verve pure [...] ; c’est l’âme du peintre qui se répand librement sur la toile”, écrivait Diderot, au Salon de 1765. Au cœur de la pratique artistique du XVIIIe siècle, l’esquisse peinte n’avait jusqu’à présent jamais fait l’objet d’une exposition à part entière, excepté dans des galeries privées. La manifestation que propose le Musée des beaux-arts de Strasbourg, en collaboration avec celui de Tours, est donc une grande première. À travers le prisme de l’esquisse, c’est “une lecture de la peinture française du XVIIIe siècle qui est ici proposée, essentiellement dans le domaine de la peinture d’histoire, c’est-à-dire dans sa dimension la plus élevée selon les critères de l’époque”, précise dans le catalogue Dominique Jacquot, commissaire de l’exposition. La fonction initiale de l’esquisse est de préparer la composition future d’un tableau, une tapisserie, un décor ou une gravure. Pour Dominique Jacquot, elle correspond aussi “à un moment très intime pour le peintre. Elle permet beaucoup d’audace et représente un véritable espace de liberté”. Les œuvres sélectionnées sont présentées de manière chronologique et thématique (“Maîtres et élèves”, “Plafonds et tapisseries”, “La genèse d’une commande”...). Deux réalisations de Charles de La Fosse accueillent le visiteur : l’Apothéose de Saint Louis (1690), tondo qui servit au décor de la coupole du Dôme des Invalides, ainsi que l’Assomption de la Vierge (1673), probablement destinée à la coupole de l’église de l’Assomption à Paris. Élève de Le Brun, La Fosse fut le premier en France à donner une place déterminante à l’esquisse. Le Moyne et de Troy poursuivirent ses recherches, mais c’est véritablement avec les artistes de la “génération de 1700” aussi divers que Van Loo, Natoire, Boucher ou Dandré-Bardon que s’impose l’esquisse peinte.
“Là où les peintres prennent du plaisir”
Afin d’appréhender au mieux le processus de création, plusieurs œuvres achevées accompagnent les esquisses. Ainsi de Thomyris fait tremper la tête de Cyrus dans un vase de sang (1766) de Jean-Simon Berthélemy ou de La Continence de Bayard (1777) de Louis Jacques Durameau. Très rapidement brossées, les esquisses indiquent la répartition des lumières, des masses colorées et des groupes. Cet aspect sommaire disparaît totalement dans les tableaux, deux descriptions minutieuses et anecdotiques d’un moment précis.
Il en est de même pour Béthuel accueillant le serviteur d’Abraham (1725) de Boucher : lors du passage du projet – pour lequel le peintre utilise de forts empâtements – au tableau, le sujet devient plus solennel, plus réservé. Diderot l’avait déjà remarqué : “Plus l’expression des arts est vague, plus l’imagination est à l’aise ; l’esquisse nous emmène là où les peintres prennent du plaisir.”
Les cinq projets pour la toile Le Miracle des Ardents (1767) de Gabriel François Doyen, réunis pour l’occasion, illustrent au mieux la manière de procéder du peintre. Dans un premier temps, Doyen réalise sur papier le modèle du Musée du Louvre sur le thème “Sainte Geneviève intercède auprès de Dieu pour arrêter l’invasion des Huns”. Vers 1765-1766, il trace diverses ébauches, avant que le commanditaire ne reprécise le sujet, en rapport cette fois avec l’épidémie d’ergotisme qui ravagea Paris en 1129. L’épisode dramatique inspire à Doyen diverses compositions, qu’il exécute à la couleur ou en grisaille. L’œuvre définitive, exposée in situ à l’église Saint-Roch, à Paris, est évoquée par une grande reproduction projetée sur le mur.
Avec Fragonard, l’esquisse perd sa fonction pratique pour devenir une œuvre d’art en soi. En témoigne Le Combat de Minerve contre Mars (vers 1771), une réalisation d’une grande liberté dont la datation est au cœur d’un véhément débat. Wilhelm, qui envisage son élaboration autour de 1762-1765, en fait une œuvre de jeunesse peinte sous l’influence de Boucher, tandis que Jean-Pierre Cuzin, qui la situe vers 1780-1783, la considère comme l’expression de la “fougue” de Fragonard. Pour Pierre Rosenberg, elle aurait plus probablement été réalisée en 1771, année dont le sujet du concours du Prix de Rome fut le combat de Minerve.
Alors que, dès les années 1770, l’esquisse fait ses premiers pas au Salon, l’art dit “rococo” et les “tartouillis” de Fragonard suscitent un retour à l’ordre et à des thèmes moralisateurs. L’esquisse change de nature, devient plus contenue. Les artistes s’éloignent de cette “apothéose du geste” à laquelle le Musée de Strasbourg rend un très bel hommage.
Jusqu’au 14 septembre, Musée des beaux-arts de Strasbourg, palais Rohan, 2 place du Château, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 15, tlj sauf mardi, 10h-18h. Catalogue, coédition Musées de Strasbourg/Musée des beaux-arts de Tours/Hazan, 320 p., 39 euros. L’exposition sera présentée au Musée des beaux-arts de Tours du 11 octobre 2003 au 11 janvier 2004.
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Exquises esquisses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : Exquises esquisses