Rétrospective

Eugène Devéria, ou le romantisme modéré

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2006 - 767 mots

À Pau, le Musée national du château et le Musée municipal des beaux-arts célèbrent main dans la main le bicentenaire de la naissance d’un artiste palois d’adoption.

 PAU - Eugène Devéria (1805-1865) a réussi un tour de force. La célébration du bicentenaire de sa naissance est à l’origine d’une rétrospective commune à deux entités administratives bien distinctes, le Musée national du château et le Musée municipal des beaux-arts. « Eugène Devéria, la peinture et l’histoire » au château et « Eugène Devéria, variations sur le genre artistique » au musée municipal se penchent sur l’œuvre d’un romantique dispersé.
« Enfant du siècle, Devéria l’est à plus d’un titre : par sa date de naissance, par les milieux artistiques et littéraires qu’il fréquenta dans sa jeunesse, par les sujets qu’il aborda, et par ses débuts fulgurants. Mais il s’en sépara ensuite, ne sachant pas saisir les occasions offertes, construire une carrière, se bâtir une réputation. » Si ce jugement de Barthélemy Jobert, extrait du catalogue commun aux deux expositions, peut paraître sans appel, il n’en est pas moins juste. Devéria obtient la gloire à l’âge de 22 ans, pour ne plus jamais la retrouver. La Naissance d’Henri IV, œuvre monumentale présentée avec succès au Salon de 1827, augure d’une grande carrière pour ce fin coloriste, surnommé le « Paul Véronèse français » par Théophile Gautier. Malgré une succession de commandes officielles (Chambre des députés à Paris, Musée historique de Versailles, cathédrale d’Avignon), Devéria déçoit. On reproche à cet amateur de détails pittoresques de ramener l’Histoire à de simples scènes de genre (Louis-Philippe Ier prête serment, 1830 ; Réception de Christophe Colomb par Ferdinand et Isabelle, 1861). Il s’égare, tarde à achever ses commandes, et reste attaché à un certain classicisme. La fougue d’Eugène Delacroix l’emporte dans le cœur des critiques, et Devéria perd sa place de « romantique en chef ». Son installation à Pau en 1841 pour raisons de santé, suivie d’une conversion à un protestantisme radical en 1843, l’écarte définitivement de la scène artistique.

Esquisses de peintre
Aujourd’hui, nombre de ses œuvres restent à découvrir, à répertorier, et à étudier. Co-commissaire de l’exposition, Paul Mironneau parle à ce titre « d’ouvrir grand la porte à la recherche » dans le cadre d’une réhabilitation générale des peintres romantiques. La dernière exposition consacrée à l’artiste date de 1965, à Pau, et le dernier ouvrage d’importance à avoir été publié sur Eugène et son frère Achille remonte à 1925. « C’est dans l’esquisse qu’il donne le meilleur de lui-même », assure Paul Mironneau. Et la majorité des œuvres présentées au château sont en effet des esquisses préparatoires et des dessins. Les toiles monumentales ne voyageant pas, seule la copie autographe de La Naissance d’Henri IV (4,9 x 3,9 m) est visible au Musée municipal, auquel Devéria avait légué une partie de son fonds d’atelier. On le découvre fidèle d’Hugo, passionné par l’histoire britannique (La Lecture de la sentence de Marie Stuart, 1826 ; La Mort de Jane Seymour, 1847), mais également attaché à une contrée française, le Béarn, et plus particulièrement la vallée d’Ossau. Campé à la croisée du néoclassicisme, pour la ligne, et du romantisme, pour la couleur, Devéria conserve un style à mi-chemin entre le narratif et le décoratif. « Mon métier est la peinture, ma fantaisie la poésie », disait-il. La publication prochaine aux éditions William Blake (Bordeaux) de son Journal, rédigé entre 1848 et 1864, lèvera certainement le voile sur la vie quotidienne d’un artiste plus motivé par l’écriture et la religion que par la peinture. Derrière les essais moralisateurs, les retranscriptions de lettres, les psaumes et les poésies, se profile un pédagogue en rédemption.
L’exposition du château est présentée dans d’anciens appartements rénovés au XIXe siècle par Louis-Philippe ; trois chambres en enfilade et un couloir confèrent à l’ensemble une atmosphère intimiste et cossue. L’accrochage fait preuve d’imagination, l’éclairage est soigné et les visiteurs disposent de nombreux outils aidant à la compréhension. Une attention bien moindre est accordée au public du Musée municipal. Un déséquilibre regrettable et imputable sans doute aux possibilités financières de la Ville, très inférieures à celles de la Réunion des musées nationaux, et de son mécène Total.

- Eugène Devéria, la peinture et l’histoire, jusqu’au 19 mars, Musée national du château, 2, rue du Château, 64000 Pau, tél. 05 59 82 38 00, tlj 9h30-11h45 et 14h-17h15, www.musee-chateau-pau.fr. - Eugène Devéria, variations sur le genre artistique, jusqu’au 19 mars, Musée municipal des beaux-arts, rue Mathieu-Lalanne, 64000 Pau, tél. 05 59 27 33 02, tlj sauf mardi 10h-12h et 14h-18h, www.musee.ville-pau.fr. Catalogue, éditions RMN, 144 p., 46 ill. couleurs, ISBN 2-7118-4579-6, 30 euros.

MUSÉE NATIONAL DU CHÂTEAU - Commissaire : Paul Mironneau, directeur du Musée du château - Nombre d’œuvres : 119 (25 huiles, 41 œuvres sur papier, 16 estampes, 8 médaillons de bronzes, ouvrages illustrés…) - Nombre d’artistes : une dizaine - Mécénat : Total, à hauteur de 60 000 euros, soit 35 % du budget MUSÉE MUNICIPAL DES BEAUX-ARTS - Commissaire : Guillaume Ambroise, directeur du Musée - Nombre d’œuvres : 44 (33 huiles, 10 œuvres sur papier, 1 sculpture)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : Eugène Devéria, ou le romantisme modéré

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