Avec plus de 300 scènes de plage à crinolines réalisées à partir de 1860 pour des raisons autant artistiques que commerciales, Eugène Boudin fait figure d’inventeur de ce genre particulier, souvent mal perçu à l’époque car brossant le portrait d’une bourgeoisie oisive.
Le sujet est moins anecdotique qu’il n’y paraît car il participe à la fondation du paysage moderne et assure la transition entre la nature tourmentée, simple décor des images romantiques, et son autonomisation liée à l’observation réaliste privilégiée par les artistes de la génération suivante. Et le critique Duranty de relever en 1867 l’abandon progressif des motifs maritimes traditionnels, « le naufrage, la tempête, l’abordage, l’incendie, la mer à drames et mélodrames » au profit d’un récent intérêt manifesté pour « la mer moderne, c’est-à-dire accommodée avec des pêcheurs, des barques, des ports, des Parisiens sur des jetées ou près des cabines de bain ». Au fil de ses voyages, Boudin enregistre les transformations du littoral normand ou breton, l’essor des cités balnéaires sous le Second Empire, le développement de ce mode de villégiature décrié par Flaubert en 1853 : « J’ai passé une grande heure à regarder se baigner les dames. Quel tableau ! Il faut que le genre humain soit devenu complètement imbécile pour perdre jusqu’à ce point toute notion d’élégance ». Mais, comme le note Boudin en 1868, « ces bourgeois qui se promènent sur la jetée vers le coucher du soleil, n’ont-ils aucun droit d’être fixés sur la toile, d’être amenés vers la lumière » ? Car au-delà d’une peinture de mœurs, de l’émergence d’un fait de société et d’un motif pictural modernes, traités aussi par Monet, Jongkind, Courbet, Corot et Daumier, la scène de plage témoigne de recherches poussées sur la lumière naturelle et l’intégration de figures dans un paysage. Grâce à une organisation de l’espace par registres horizontaux successifs (le sable, les personnages, la mer et le ciel), Boudin parvient en effet à maintenir à l’équilibre son attirance pour les « tendresses du ciel », pour la « poésie du nuage » ou de l’eau et l’étude de la présence humaine, sensible en cela au constat de Baudelaire : « l’homme ne voit jamais l’homme sans plaisir ». L’observation des phénomènes atmosphériques « ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces immensités vertes et roses suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu » décrits par Baudelaire lui permet de rompre avec le primat du dessin, de dissoudre les contours et de parvenir à la fusion des différents éléments du paysage jusqu’à « nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l’azur ». Ainsi Boudin fait-il figure de passeur du romantisme à l’impressionnisme, lui qui considérait la perfection comme « une œuvre collective ».
LAUSANNE, Fondation de l’Hermitage, 7 juillet-15 octobre.
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Eugène Boudin vers la lumière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°518 du 1 juillet 2000, avec le titre suivant : Eugène Boudin vers la lumière