À l’occasion du cinquantenaire de la réconciliation franco-allemande, le Musée du Louvre pointe les moments décisifs d’un cheminement identitaire et esthétique.
PARIS - Il y a tout juste deux cents ans paraissait à Londres De l’Allemagne, dont Napoléon s’était empressé de faire interdire toutes les épreuves publiées en France quelques années plus tôt. Écrit en exil, l’essai fondateur de Madame de Staël dresse un portrait admiratif de la patrie de Goethe, et se réjouit de la fraîcheur littéraire et intellectuelle dont le pays fait alors preuve. Avec, en filigrane, une invitation faite aux élites françaises à l’esprit selon elle desséché à s’en inspirer. La même année, les forces de l’Empire essuyaient un revers fatal lors de la campagne de Saxe, incapables de faire face à une coalition liguée contre le joug napoléonien. L’unification politique de l’Allemagne, mosaïque de royaumes, principautés, duchés et grands-duchés, était encore une utopie. Ragaillardie par le Sturm und Drang [« Tempête et passion »], dès les années 1770, sa culture artistique, littéraire et musicale, n’avait, elle, pas attendu l’occupation française pour ressentir le besoin de trouver une voie propre.
Si elle emprunte son titre à l’ouvrage séminal de la germanophile Germaine de Staël, l’exposition du Musée du Louvre célèbre un autre épisode marquant de l’histoire des deux pays, le cinquantenaire de la signature du traité de l’Élysée. Organisée avec la collaboration scientifique du Centre allemand d’histoire de l’art, « De l’Allemagne, 1800-1939. De Friedrich à Beckmann » porte une volonté politique assumée (lire aussi p. 3). Instigateur de cette exposition, Henri Loyrette formule, dans la préface du catalogue, le souhait pour le musée d’« apporter […] sa pierre à l’amitié franco-allemande ». Les commissaires ont eu l’intelligence de ne pas retracer une histoire de la création allemande sur près d’un siècle et demi, comme le titre de l’exposition semble l’indiquer. Croisant leurs regards scientifique et universitaire, ils ont choisi de faire ressortir des moments-clés, des zones de relief, indispensables à la compréhension d’une culture artistique en phase de constitution. D’apparence bancale car il élude des grandes figures (le groupe Der Blaue Reiter par exemple), le résultat gagne en cohérence si on le comprend comme une description d’un cheminement identitaire et non esthétique.
Placé sous la figure tutélaire de Johann Wolfgang von Goethe, immortalisé dans la campagne romaine par Johann Wilhelm Tischbein, le parcours se déploie en trois grands chapitres, en écho aux préoccupations des artistes. Un assemblage (déroutant de prime abord) de trois actes issus de trois genres différents. Avec en ouverture un récit mythologique dans lequel la sérénité d’Apollon (comprenant les Nazaréens) s’oppose aux incartades de Dyonisos (avec Arnold Böcklin). Les artistes se cherchent en s’inscrivant dans la grande tradition, et puisent chez les Grecs comme dans la Renaissance, italienne et allemande…
La nature au premier plan
L’intermezzo par les contes et légendes signe un premier sursaut identitaire en traitant certains sujets de la culture populaire avec la force de l’imaginaire. Le second acte, issu d’un opéra romantique, met la nature au premier plan. De l’étude des formes naturelles de Goethe aux visions spirituelles de Friedrich (dont les tableaux justifient à eux seuls la visite de l’exposition), le paysage se substitue à la peinture d’histoire. L’acte final, issu d’une tragédie, dévoile le chemin parcouru par les artistes, qui s’expriment désormais sans fard sur ce que veut dire être allemand dans le premier tiers du XXe siècle. La souffrance des conflits offre des œuvres poignantes, la plupart sur papier – voir la violence baroque des gravures à l’eau-forte d’Otto Dix, la détresse des xylographies de Käthe Kollwitz… De l’appropriation propagandiste de la culture par le nazisme n’est montré en exemple que le film Olympia (1936) de Leni Riefenstahl, exaltation en noir et blanc de l’esthétique classique grecque. Or, lorsqu’un siècle et demi plus tôt l’historien de l’art Johann Winckelmann exhortait à prendre les Anciens en exemple, il encourageait les artistes à trouver la beauté non pas en imitant, mais en la puisant en eux-mêmes. Ce que les artistes réunis ici ont accompli. Et que l’art nazi était bien incapable de faire
Commissaires généraux : Henri Loyrette, à l’époque président-directeur du Musée du Louvre ; Andreas Beyer, directeur du Centre allemand d’histoire de l’art de Paris
Commissaires : Sébastien Allard, conservateur en chef au département des Peintures, Musée du Louvre ; Danièle Cohn, professeure≤ des universités, directrice du Centre d’esthétique et de philosophie de l’art, université Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ; Johannes Grave, directeur adjoint du Centre allemand d’histoire de l’art à Paris
Scénographie : Richard Peduzzi
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 24 juin, Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tlj sauf mardi, 9h-17h45, mercredi et vendredi 9h-21h45. Catalogue, coéd. Musée du Louvre/Hazan, 480 p., 350 ill., 45 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Être un artiste allemand