Road movie photographique, Les Américains exaltaient la « mauvaise » image. Le livre est pourtant celui qui a le plus influencé la génération des photographes américains des années 1960 et 1970.
En Jazz, il y a avant et après Charlie Parker, l’inventeur du be-bop, ce courant de liberté qui a révolutionné le genre dans les années 1940 aux États-Unis. Dans l’histoire de la photographie, il y a avant et après Robert Frank et ses Américains, cet ouvrage de photographies paru en 1958 d’abord chez Delpire et devenu, depuis, largement culte.
Un vent de liberté
Né en 1924 en Suisse, Robert Frank débarque aux États-Unis après la guerre, en 1947, où il travaille pour diverses publications, dont Harper’s Bazaar et son fameux directeur artistique Alexey Brodovitch. Depuis les années 1930, la presse est le principal employeur d’une activité non encore reconnue par les institutions, ni par les professionnels de l’art. Après plusieurs voyages effectués à Paris, au Pérou et ailleurs, Frank décroche en 1955 la bourse de la fondation Guggenheim à New York. Une bouffée d’oxygène pour ce jeune homme qui, las des travaux de commande, part à la conquête de l’Amérique, l’esprit libre de toute contrainte financière.
Accompagné de sa femme et de leurs deux enfants, Frank sillonne les États-Unis pendant plus d’un an. Il rapporte de son périple plusieurs centaines de rouleaux. On parle de vingt mille négatifs dont certains s’apprêtent à bousculer les États-Unis, et à réformer à jamais la photographie.
Car Frank a photographié l’Amérique telle qu’il l’a vue : les Blancs d’un côté et les Noirs de l’autre, les bourgeoises choucroutées et les ouvriers mal sapés. La jeunesse, la vieillesse, le cow-boy, la solitude, l’amour, la mort, le juke-box, l’automobile, le drapeau étoilé, etc. : Frank montre tout, sans affect ni pathos, d’une société en désaccord avec le rêve américain encore largement diffusé par l’image fixe.
Mais cette vision libérée de l’Amérique s’accompagne d’une révolution formelle : Les Américains réhabilitent le snapshot, cette image prise spontanément sans souci de l’esthétique. Parfois flous, vite cadrés, au grain grossier, ses clichés rompent avec la photo bien faite et l’instant décisif prônés par Cartier-Bresson. Dès lors, Frank met sur la route toute une génération de street photographers, de Lee Friedlander à Garry Winogrand.
« Quels yeux ! », s’exclame Kerouac qui écrit aussi : « […] elle est pure cette image comme du plus beau solo ténor de jazz… » Un solo de Charlie Parker, bien sûr.
Informations pratiques. « Robert Frank, un regard étranger » jusqu’au 22 mars 2009. Jeu de Paume, place de la Concorde, Paris. Tous les jours, sauf le lundi, de 12 h à 19 h, le week-end à partir de 10 h et le mardi jusqu’à 21 h. Tarifs : 7 et 4 e. www.jeudepaume.org
Au même moment au Jeu de Paume. À Concorde, Sophie Ristelhueber présente une sélection d’images explorant le territoire et les traces laissées par l’Histoire, thématique que la photographe française affectionne depuis plus de 20 ans. Dans l’exposition « Mario Garcia Torres : « Il aurait bien pu le promettre aussi », le photographe mexicain revisite quant à lui l’histoire de l’art conceptuel et repose la question de la définition de la création. Plus loin, à l’hôtel de Sully, la collection de Christian Bouqueret replonge un temps le visiteur dans le Paris des années 1920-1940.
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Et Robert Frank créa les Américains
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Abonnez-vous dès 1 €Robert Frank, Les Américains, réédition de 2007, 180 p., 39,50 e.
En 1952, Robert Delpire [qui a assuré la direction artistique des premiers numéros de L’œil en 1955] signe une lettre de recommandation à Robert Frank pour l’obtention de la bourse du Guggenheim. Au retour du voyage de Frank, Delpire publie en 1958 Les Américains, comprenant une compilation de textes en français et une couverture dessinée par Steinberg. En 1959, l’ouvrage est publié aux États-Unis avec une photo en couverture [voir p. 60] et un texte de Kerouac. À partir de là, Les Américains entrent dans la légende. Le livre connaîtra plusieurs rééditions, dont une nouvelle en 1986 chez Delpire, mais cette fois avec une photo en couverture et l’introduction de Kerouac traduite en français.
Les Américains viennent d’être réédités par deux fois : chez Delpire, qui réimprime la version de 1986, et chez Steidl, qui reprend la première version américaine. Les couvertures et le papier choisi donnent un rendu différent, on conseillera toutefois le Delpire pour sa traduction en français du texte de Kerouac.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°610 du 1 février 2009, avec le titre suivant : Et Robert Frank créa les Américains