Coup de cœur : pour les 150 ans de la naissance d’Henri Matisse en 2019, le musée du Cateau-Cambrésis s’intéresse aux premières années de l’artiste et montre comment Matisse est devenu Matisse.
Parmi les nombreux événements organisés autour d’Henri Matisse dans son musée au Cateau-Cambrésis, il n’y avait jamais eu d’exposition entièrement consacrée aux débuts de l’artiste. Pour le 150e anniversaire de sa naissance, en 1869, l’idée s’est donc imposée de réaliser cette exposition, qui montrerait comment se construit un artiste qui, au départ, n’a pas la vocation de le devenir. Les copies réalisées au Louvre par le peintre, notamment celles de Chardin conservées dans les collections permanentes, furent le fil à tirer pour réaliser ce projet. L’ambitieuse exposition qui en résulte comprend deux cent cinquante œuvres de Matisse et cinquante autres des génies qui l’ont accompagné. Le musée n’en avait jamais exposé autant !
Le parcours s’articule de façon chrono-thématique et s’ouvre par deux des quatre autoportraits peints par Matisse durant sa carrière, dont trois sont réunis ici. La première salle présente l’artiste dans son contexte familial, celui d’une lignée de tisserands implantée depuis trois cents ans au Cateau. C’est probablement dans cet environnement que s’est opérée chez lui la première révélation des formes et des couleurs. Après des études de droit à Paris, il commence sa vie professionnelle comme clerc de notaire. À 20 ans, lors d’une longue convalescence à la suite d’une opération de l’appendicite, il découvre le plaisir de peindre. Puis il débarque à Paris pour poursuivre ses études de droit, mais la tentation est trop forte et il s’inscrit aux cours de l’atelier de Bouguereau qu’il quitte bientôt pour suivre l’enseignement de Gustave Moreau. Ce dernier pousse le jeune Matisse à dessiner sur le motif et à visiter le Louvre. L’espace suivant présente ses deux premiers tableaux figurant des natures mortes peintes sur ses livres de droit signées « Essitam » et des études de nus dont ce dessin académique refusé au concours d’entrée aux Beaux-Arts et offert par Matisse au musée en 1952. Quant à ses deux tableaux académiques, ils jouent un rôle de marqueurs pour ses productions postérieures.
La salle suivante aborde la proximité de Matisse et de Marquet, amis et compagnons de travail depuis l’atelier de Moreau. Ils ont traité les mêmes sujets : des danseurs de cafés-concerts, des fiacres, des dos qui deviendront un thème récurrent chez Matisse, comme celui de la fenêtre, de la danse ou de la chocolatière offerte par Marquet qu’il reprendra tout au long de sa vie dans nombre de ses compositions. Sa progression n’est pas linéaire mais faite d’allers-retours incessants : Matisse peut modifier un objet en fonction de ses recherches ou le réemployer selon les contextes esthétiques. La découverte du Louvre et des grands maîtres par Matisse est l’un des points forts de l’exposition : « C’est du Louvre que je suis parti pour aller à la peinture fauve, c’est par là que s’explique mon œuvre. » L’exigence ici était de montrer ce qu’il y avait de meilleur dans la production des maîtres qui l’ont inspiré, et c’est le cas : la « salle du Louvre » accueille entre autres chefs-d’œuvre, l’Apollon Piombino côtoyant un dessin d’Apollon de Matisse avec la tête de Bevilacqua, modèle italien qu’il a partagé avec Rodin, une copie de La Pourvoyeuse par Matisse et son original par Chardin, une Raie d’après Chardin qui regarde Cézanne, un Christ mort d’après Philippe de Champaigne, une confrontation explicite entre un jaguar dévorant un lièvre de Barye et une réplique de Matisse réalisée « à l’aveugle avec la main ». Le somptueux Dessert de Davidsz de Heem, sa copie d’époque par Matisse et sa réinterprétation magistrale teintée de cubisme de 1915 (un prêt du MoMA) résument à eux seuls le propos de l’exposition : observer le cheminement de l’élève copiant le maître pour devenir, à son tour, un maître.
Après une période difficile durant laquelle il est près d’arrêter la peinture, Henri Matisse est invité en 1904 à Saint-Tropez par Signac et s’engage dans le pointillisme dont Luxe, Calme et Volupté est l’acmé. Au Salon de 1905, Femme au chapeau, première œuvre fauve de Matisse – on peut en voir le dessin préparatoire dans l’exposition –, fait scandale. La belle histoire du fauvisme continue avec de magnifiques exemples réalisés à Collioure et des œuvres de Manguin, Derain et Cross qui ont accompagné Matisse dans cette période si riche de l’histoire de son art.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Et Matisse fut