PhotoEspaña est un jeune festival, puisqu’il vit sa deuxième édition. Sous le titre « Sangre Caliente », il fédère 91 expositions, dont une quarantaine dans des galeries madrilènes, participation sans équivalent dans un festival parisien. La dominante, plutôt classique, rend hommage au Néo-réalisme italien et fait découvrir de précieuses images new-yorkaises des années trente via une association engagée, Photo League.
MADRID - L’immense bâtiment ostentatoire, chargé de marbre et d’or, de la Fundación Telefónica recèle pour quelques jours encore des petits bijoux de la photographie. Des images des années trente et quarante faites de délicatesse, d’apparente spontanéité, où la lumière met en valeur chaque élément de la composition. Une enfant joue à la balançoire dans un parc à jeux, d’autres se jettent dans l’eau de l’Hudson : le regard du visiteur peut se délecter d’un pur esthétisme. Ces tirages sont en partie la sélection d’une galerie new-yorkaise, celle de Howard Greenberg, dont une des activités majeures est de faire apprécier la photographie de ces années-là. L’exposition – une première, qu’on aurait donc souhaité plus généreuse –, est assurément un prisme déformant. Ne sont retenues que les images qui pourraient être aujourd’hui accrochées au mur, alors que celles-ci avaient une tout autre fonction il y a soixante ans. Elles sont issues d’une association engagée, Photo League. Comme l’affirme dans le catalogue Naomi Rosenblum, celle-ci a joué un rôle “unique” à New York pendant quinze ans. Elle a voulu développer un style documentaire, en réaction contre les derniers feux du Pictorialisme, et surtout un engagement militant “en fournissant à la presse radicale des images de la vie de la classe laborieuse, prises du point de vue de ceux qui sont concernés”. Étaient donc associés des noms, très reconnus aujourd’hui, comme Lewis Hine, Berenice Abbott, Eugene Smith, Weegee, mais également Sam Mahl, Ruth Orkin, Walter Rosenblum, Ann Shanks, Sandra Weiner... Pendant l’ère McCarthy, Photo League est inscrite sur la liste des associations subversives anti-américaines. Ses membres sont de fait interdits de travail et l’association se dissout en 1951.
Privilégier l’émotion
Autre hommage, mais qui est moins une découverte, celui rendu au Néo-réalisme dans la photographie italienne, indissociable du cinéma. Là, sans engagement affiché, ce sont les scènes de rue, les quartiers populaires, les archétypes paysans qui dominent à côté des femmes en noir, des séminaristes, sous le regard de Mario De Biasi, Federico Patellani, Mario Giacomelli... Comme Photo League, l’exposition est bien encadrée, judicieusement accrochée, un travail très propre qui pourrait sembler en contradiction avec le label “Sang chaud” (Sangre Caliente) de l’ensemble de la manifestation. Il s’agirait de privilégier l’émotion par rapport à la froide rationalité. Mais Alberto Anaut, directeur de PhotoEspaña et éditeur de la revue Matador, est suffisamment intelligent pour jouer de ce titre “marketing” et reconnaître qu’il est réducteur. Le spectre de PhotoEspaña est plus large, avec une exposition Kertész – peu connu en Espagne –, une rétrospective Ramón Masats et José Ortiz Echagüe, les images qui ont désormais fait le tour du monde des Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé, l’africanisme mondain de Peter Beard, les “images pour la dignité” de grands photo-journalistes. PhotoEspaña, dont le budget est assuré à 25 % seulement par des subventions publiques, prépare sa troisième édition, qui se tournera davantage vers des pays plus lointains.
PhotoEspaña, Sangre Caliente, jusqu’au 18 juillet, divers lieux à Madrid. Renseignements tél. 34 91 360 13 20 ou e-mail : photoes@photoes.com
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Esthétisme et engagement
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Esthétisme et engagement