Au moment du cinquantenaire de la disparition de Le Corbusier, nous avons voulu savoir ce qu’il reste des cinq points du modernisme.
Disparu tragiquement par noyade, le 27 août 1965, au large de la baie de Roquebrune-Cap-Martin, Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, réémerge en cette année 2015 à la faveur d’un chiffre rond : les 50 ans de sa mort. Né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds, en Suisse, l’architecte s’était installé à Paris en 1917 et avait été naturalisé français en 1930. Mais à quoi cet homme doit-il cette renommée inégalée dans le monde de l’architecture ? Sans doute, en partie du moins, au fait qu’il ait, en 1927, théorisé les acquis stylistiques du Mouvement moderne en énonçant, dans un texte fameux, les « cinq points d’une architecture nouvelle » : les pilotis, le toit-jardin, le plan libre – la structure porteuse est dissociée des parois séparatives –, la façade libre – l’enveloppe du bâtiment est indépendante de la structure porteuse –, enfin, la fenêtre en longueur. À travers cette quinte de préceptes, le maître d’œuvre définit alors une syntaxe novatrice déterminant les traits distinctifs d’une architecture moderne. Cette nouvelle façon de penser l’architecture est notamment rendue possible grâce à l’emploi du béton armé et à la liberté plastique offerte par ledit matériau, lequel permet de réaliser à la fois des formes pures et rectilignes ou des silhouettes lyriques et exubérantes. « Grâce à l’apport du béton, Le Corbusier a inventé un nouveau langage et, après la pierre et le fer du XIXe siècle, l’architecture a fait un bond formidable », estime Jacques Sbriglio, architecte et commissaire de la rétrospective « Le Corbusier et la question du brutalisme », déployée, en 2013, dans le Hangar J1, à Marseille. Si, selon Dominique Lyon, architecte et auteur du livre Le Corbusier vivant (éd. Telleri), le discours et le vocabulaire de Le Corbusier ont beaucoup vieilli, « il y a [néanmoins] chez lui un corpus d’idées qui peut perdurer, comme, par exemple, ce système constructif rationaliste baptisé ‘’Dom-ino’’ ». Bref, qu’en est-il aujourd’hui chez les architectes contemporains de ses Cinq points d’une architecture nouvelle ? Petit état des lieux en 5 clefs.
LES CINQ PRÉCEPTES DU MODERNISME SELON LE CORBUSIER
1 LES PILOTIS
Quel avantage que celui des piliers ou pilotis ? Celui de libérer l’espace au sol juste au-dessous d’un édifice. Le rez-de-chaussée se transforme ainsi en un volume dégagé, destiné aux circulations diverses – véhicules ou humains – ou dont on use pour prolonger le paysage, comme un jardin qui se poursuit sous un bâtiment. L’architecte batave Rem Koolhaas a usé à l’envi de ce précepte dans la Villa dall’Ava, à Saint-Cloud. Une aile de la demeure repose sur une forêt de pilotis – d’où le surnom qu’elle eut un temps : « La Girafe » –, afin d’y laisser serpenter dessous le chemin qui conduit à l’entrée. Zaha Hadid agit de même pour le Musée MAXXI, à Rome. Conçu par l’architecte néerlandais Koen van Velsen, le Centre de rééducation Groot Klimmendaal, lui, est planté dans une forêt en dehors d’Arnhem, aux Pays-Bas. Juché sur ses pilotis, il a été décrit, avec poésie, comme « étant debout tel un cerf calme entre les arbres ». L’édifice, très apprécié, a figuré parmi les six finalistes – sur 342 réalisations en compétition – du Prix d’architecture européen Mies van der Rohe 2011.
2 LE TOIT-JARDIN
Fini le toit traditionnel en pente ! Le « toit-jardin », lui, doit également son existence à l’emploi du béton, lequel permet la réalisation de couvertures planes. De fait, il rend à la nature l’emprise de la maison : une surface égale à celle du sol est ainsi récupérée dans le ciel. Désormais accessible, le toit peut servir de terrasse ou de solarium, de jardin suspendu, de terrain de sport, voire de piscine… L’imagination des architectes fait le reste. Pour la Fondation Louis Vuitton, ouverte l’an passé à Paris, Frank Gehry a transformé le toit en un belvédère multiple, juché juste au-dessus des frondaisons du bois de Boulogne. En 2008, sur le front du port d’Oslo, l’agence phare norvégienne Snøhetta – qui a notamment été désignée, cette année, pour construire le futur siège du journal Le Monde, dans le XIIIe arrondissement, à Paris – a inauguré un splendide projet : l’Opéra national de Norvège. Sa caractéristique : être davantage un paysage qu’une architecture. Son toit est, en effet, entièrement accessible. Il devient solarium, lieu de rencontre, de concert, de pique-nique… Mieux, il plonge littéralement dans les eaux du fjord, si bien qu’on pourrait même y accoster en bateau !
3 LE PLAN LIBRE
Grâce au béton, il n’y a plus de contraintes de murs « porteurs ». Les structures de type poteaux-dalles en acier ou en béton armé forment une ossature entièrement indépendante, générant une autonomie complète desdits piliers porteurs par rapport aux cloisons de séparation et libérant, de fait, l’espace. Résultat : chaque niveau peut être organisé différemment. Au Musée du Louvre-Lens, le cabinet Sanaa s’est offert une prouesse : la Galerie du Temps. Techniquement, la structure de poutrelles métalliques de longue portée qui constitue la toiture permet un gigantesque porte-à-faux, si bien que cette salle gigantesque – 120 m x 25 m – est dénuée de points porteurs. Plantée en proue du quartier du port, à Choisy-le-Roi, la nouvelle médiathèque Louis Aragon conçue, elle, par le tandem Brenac & Gonzalez, est aussi un exemple de liberté en plan. Ainsi, chaque étage se tortille différemment pour offrir des panoramas scéniques sur la Seine ou sur la ville. À l’intérieur, le programme organise l’équipement en hauteur et selon un ruban en ascension autour d’un vide générant un puits de lumière central.
4 LA FAÇADE LIBRE
La façade libre découle directement du concept du plan éponyme. En clair, mais dans le sens vertical cette fois, c’est la façade qui se distingue de la structure. Les poteaux sont en retrait des façades, les planchers en porte-à-faux. L’enveloppe du bâtiment est entièrement indépendante de la structure porteuse. Avantage : la façade devient une peau mince de murs légers et/ou de baies placées indépendamment de la structure. Pour le MuCEM, à Marseille, Rudy Ricciotti a recouvert le bâtiment d’une élégante résille de béton telle une dentelle. Pour le Conservatoire national d’Aix-en-Provence, le Japonais Kengo Kuma, lui, a usé de plaques d’aluminium anodisé qu’il a assemblées par superpositions, comme un origami. Enfin, pour l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, Marc Mimram a opté pour le verre et habillé les divers volumes déhanchés de l’édifice, ce qui permet un dialogue visuel permanent entre les étudiants et la ville.
5 LA FENÊTRE EN BANDEAU
En longueur ou en « bandeau », les ouvertures, elles aussi, sont indépendantes de la structure de l’édifice. Ainsi, elles peuvent être très grandes ou irrégulières – la contrainte des linteaux est supprimée –, voire se dérouler tel un ruban d’un bout à l’autre de la construction, favorisant ainsi l’entrée de la lumière et la continuité de la vue panoramique. Côté « perforations », il n’y a pas que le « bandeau » qui prime, mais toutes les fantaisies sont possibles : ainsi en est-il du bâtiment Mikimoto réalisé par Toyo Ito à Tokyo, percé d’une myriade de baies de toutes formes et de toutes dimensions. Mais le plus bel exemple, à ce jour, de fenêtre en longueur est à n’en point douter celle qui irradie les bureaux de l’agence d’architecture espagnole SelgasCano, installée, depuis 1998 près de Madrid. Des bureaux qui, d’ailleurs, sont illico devenus une formidable carte de visite pour les deux architectes-fondateurs, José Selgas et Lucia Cano. À preuve : la firme a été choisie, cette année, pour édifier le 15e Pavillon d’été de la Serpentine Gallery, à Londres, lequel sera visible du 25 juin au 18 octobre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Esprit du modernisme es-tu encore là ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Esprit du modernisme es-tu encore là ?