À Madrid, des sculptures et toiles de l’artiste espagnol articulent récit personnel et histoire universelle.
Madrid. L’exposition « Jacobo Castellano. El espacio entre los dedos (« l’espace entre les doigts ») », présentée à la Sala Alcalá 31, montre les créations récentes de l’artiste (né en 1976) originaire de Jaén en Espagne, accompagnées de quelques pièces réalisées au cours de ces vingt dernières années.
Occuper l’architecture de la Sala Alcalá 31 n’était pas chose aisée, mais Jacobo Castellano s’est approprié l’espace en bâtissant deux portes, en une reconstitution à plus grande échelle de celles de la Casa de las Flores, résidence historique construite par l’architecte Secundino Zuazo, où vit l’artiste. Une manière de faire entrer le visiteur dans son récit autobiographique et dans celui plus vaste de l’architecture madrilène, véritable « mémoire personnelle à visée universelle », explique l’artiste. Pour servir son propos, celui-ci assemble des objets et matériaux porteurs de souvenirs et à la fragilité esthétique manifeste, comme dans sa sculpture Faille (2024), où des morceaux de bois sont agrafés ensemble dans un équilibre délicat.
La genèse de l’exposition est liée au Musée du Prado, que l’artiste a fréquenté durant plusieurs semaines. Il a analysé avec la commissaire Tania Pardo les peintures qui l’ont l’inspiré, en particulier celles de Zurbarán et de Goya. Celui qui s’illustre par ses œuvres en volume reconnaît ne jamais s’être rendu dans la section sculpture du musée. « Le Prado est un outil de travail pour moi », dit-il pourtant, car « Zurbarán est un peintre qui fait de la sculpture ». Castellano perçoit l’obsession du maître pour l’eau dans sa toile Nature morte aux cédrats (1633), s’interroge avec un œil de sculpteur sur le poids des objets et des personnages du Pantin (1791-1792) de Goya.
Dans sa sculpture Mauvais moments (2009), un verre de lait repose sur un cheval en carton disloqué, renvoyant à son enfance passée à Grenade, à la maison familiale et à ses objets, sa principale source d’inspiration, tout en évoquant son intoxication traumatisante à un vernis lors de ses études aux Beaux-Arts, intoxication qui l’a rendu allergique au lactose. Une composition « entre jeux et tragédie, avec l’idée sous-jacente de rompre et reconstruire constamment », explique l’artiste. La notion de jeu est rappelée dans le titre de l’exposition, en référence à un jeu d’enfant consistant à faire disparaître le pouce de la main, auquel fait aussi écho sa sculpture Jeux de mains (2021).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Entre les doigts de Jacobo Castellano