Sans nostalgie rétrospective, l’exposition du Centre de la gravure retrace le parcours d’Alechinsky au cœur de l’imprimé : affiches, illustrations, œuvres partagées, estampes murales témoignent d’un même désir de continuer la poésie par d’autres moyens
LA LOUVIÈRE (de notre correspondant) - Sur trois étages, l’œuvre imprimé de Pierre Alechinsky se déploie comme une farce. Car l’image piège l’œil sans tromper l’esprit. Ici, les marges encadrent inexorablement le visage du spectateur qui s’avance devant l’estampe murale, jusqu’à se confondre avec son noyau central (Soleil noir, 1984). Là, le jeu de mots s’emballe et introduit au cœur de l’image un de ces dialogues qu’Alechinsky affectionne avec Dotremont, Cioran, Bonnefoy, Chavée et tant d’autres. Au fil de l’exposition, l’artiste se révèle pleinement dans le passage constant du mot à la forme, par le trait tantôt métamorphosé en phrase, tantôt transfiguré en figure. Incessant, ce va-et-vient définit la poésie même de l’image selon Alechinsky : un temps de passage entre devenir et souvenir.
Graphiste de formation, il a tôt trouvé dans la l’estampe une alchimie du dessin qui passe par l’impression. Là où la ligne se veut récit, la gravure l’érige en trace. La qualité de son apparition – “sa morsure” pour reprendre un texte de 1962 – en constitue le récit dédoublé. L’image gagne en densité. Remarquablement mise en espace par Catherine de Braekeleer, l’exposition en atteste : de l’estampe au livre, le papier a son mot à dire tandis que l’impression révèle la personnalité même de chaque trait. En ce qui concerne le papier, Alechinsky n’a cessé de jouer. De la sensualité de la matière d’abord, de la mémoire du papier détourné ensuite, en adoptant comme support des cartes géographiques ou d’anciens actes notariés. Désormais occultée, l’officialité du verbe qui fait loi s’abîme en poésie dans l’image toujours libre.
La “texturologie” des encres et des papiers induit sa géographie des supports. De l’indicible au mur, du livre qui tient entre le pouce et l’index aux grands placards, Alechinsky n’a cessé de concevoir l’image comme une forme de respiration qui tient à ses limites pour pleinement se réaliser.
À la rétrospective qui mettait l’œuvre en évidence, le parcours gravé répond dans l’ouverture de chemins de traverse, dans les dialogues incessants qui conduisent l’image pour en faire un projet en même temps qu’un échange. L’image, c’est la vie. Et la lithographie incarnée dans une nouvelle forme de “vulcanologie” – titre de la suite de sept lithographies imprimée en 1970 – se révèle pleinement habitée à La Louvière. Des ateliers d’enfants, installés dans le parcours même, témoignent d’une vérité que nulle exposition ne révèle d’ordinaire : la joie du travail partagé dans l’effervescence de l’atelier. Là, l’idée et le concept le partagent avec les métiers qui se répondent, dialoguent et collaborent pour donner vie à l’estampe comme un don de soi.
- ALECHINSKY. 50 ANS D’IMPRIMÉS, jusqu’au 23 avril, Centre de la gravure et de l’image imprimée, 10 rue des Amours, 7100 La Louvière (Belgique), tél. 32 64 28 48 58, 12h-18h, samedi et dimanche 11h-18h. Catalogue 128 p., 1 250 FB.
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Entre encre et transe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Entre encre et transe