Devant les photogrammes de végétaux d’Anna Atkins ou les clichés astronomiques de Maurice Loewy et Pierre Puiseux, difficile de rester insensible à l’aspect esthétique de telles images, pourtant regroupées au xixe siècle sous le simple terme générique de « documents ». Ces photographies, comme celles d’Auguste Salzmann, Édouard Baldus ou William Henry Jackson réunies au musée d’Orsay, ont été exécutées suivant des commandes très précises qui laissaient peu de liberté à leur auteur, dans un but purement documentaire. Prises pour enregistrer, reproduire, témoigner, prouver ou mesurer, elles sont destinées aux chercheurs, aux scientifiques, aux artistes.
C’est dans cet esprit que Salzmann, photographe et archéologue, s’attache aux plus infimes détails dans ses vues de Jérusalem, sur les recommandations de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, avec pour mission de dépasser ce que pourraient réaliser un dessinateur ou un peintre, en privilégiant les points de vue rapprochés. Exploration de l’Ouest américain, guerres et catastrophes naturelles – les inondations de Lyon photographiées par Édouard Baldus en 1856 –, images scientifiques ou d’architecture sont autant de domaines ici illustrés, depuis les origines de la photographie jusqu’à la Première Guerre mondiale. Baldus est chargé, en 1854, de couvrir le chantier de construction du nouveau Louvre et produit plus de deux mille clichés en cinq ans. Quelques-unes de ses photographies sont présentées ici, vues frontales d’architecture dont l’aspect esthétique n’avait pas échappé, déjà à l’époque, au journaliste Ernest Lacan qui soulignait la « transparence aérienne dans les ombres » et la « puissance des effets de lumière ». Preuve que l’on pouvait, malgré l’habituel et réducteur cloisonnement du xixe siècle qui visait à séparer image documentaire et artistique, être sensible à la vérité d’une représentation et à sa beauté plastique, qu’il pouvait exister en photographie cette « beauté documentaire » dont traite l’exposition. En 1910, le cliché documentaire est défini par le Congrès international de photographie de Bruxelles comme une « image qui doit pouvoir être utilisée pour des études de nature diverse, d’où la nécessité d’englober dans le champ embrassé le maximum de détails possible […]. Rien n’est à dédaigner : la beauté de la photographie est ici secondaire, il suffit que l’image soit très nette [...] et traitée avec soin pour résister le plus longtemps possible aux injures du temps ». Il faut attendre 1920 pour que les notions de document et d’art soient davantage associées. Les images doivent alors être informatives et séduisantes. De la même façon, des images du siècle précédent sont reconsidérées à l’aune de critères esthétiques et élevées pour certaines au rang d’œuvres d’art. Les clichés d’Eugène Atget – notamment ceux où il opère un recensement des lieux du vieux Paris – sont particulièrement représentatifs d’un « entre-deux ». La photographie qu’il prend en 1898 dans les jardins du Louvre de la statue de Jules Cavelier, La Vérité, témoigne de la subjectivité de l’artiste. Le cadrage très moderne surprend, la sculpture est coupée, l’image construite et composée.
Que doit-on considérer comme simple témoignage objectif, peut-on regarder de telles images sans en apprécier les qualités esthétiques, quelles sont les limites de cette photographie documentaire et quand devient-elle œuvre d’art ? Autant de questions soulevées par cette exposition à travers des exemples bien choisis et replacés dans leur contexte. Mais il en aurait fallu plus, en confrontant notamment le regard de plusieurs photographes sur un même thème, en montrant aussi davantage ce glissement de l’image documentaire vers l’œuvre d’art. Si le sujet est passionnant, l’exposition semble un peu courte. On regrette d’autant plus l’absence d’un catalogue qui aurait pu permettre une étude approfondie du sujet.
« La Beauté documentaire (1840-1914) », PARIS, musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’honneur, VIIe, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, 8 avril-29 juin.
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Entre document et œuvre d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°548 du 1 juin 2003, avec le titre suivant : Entre document et œuvre d’art